3:54 am - 24 octobre, 2025


Le récent communiqué du gouvernement annonçant la mobilisation de 1 377 milliards de francs CFA pour l’emploi et l’entrepreneuriat des jeunes a suscité de réels espoirs à travers le pays. Mais il a également ravivé de profondes craintes : celles de voir les mêmes pratiques du passé se reproduire, avec les mêmes résultats décevants. Cette inquiétude est légitime. Car si les instruments changent de nom, les méthodes restent souvent les mêmes : gestion centralisée, clientélisme, manque de suivi, et décaissements sans contrôle. Les leçons du passé doivent impérativement être tirées si le Sénégal veut transformer cette enveloppe historique en une véritable dynamique de croissance et d’emploi durable. Des programmes pleins de promesses, mais souvent mal exécutés Depuis une décennie, plusieurs mécanismes publics ont été créés pour soutenir les jeunes : FAISE, DER, FONGIP, ANPEJ,PAPEJF ou encore le Projet PRAO entre autres. Tous avaient une mission noble : financer les initiatives locales, renforcer l’inclusion économique et soutenir la jeunesse. Mais sur le terrain, beaucoup de ces programmes ont été plombés par des dérives structurelles, des faiblesses de gouvernance et un manque de coordination réelle. Le FAISE : un outil dévoyé Le Fonds d’Appui à l’Investissement des Sénégalais de l’Extérieur (FAISE) était censé encourager les investissements productifs de la diaspora dans leur pays d’origine. Mais dans sa mise en œuvre, il a révélé de graves insuffisances. Avec un taux de garantie publique de 100 %, les crédits octroyés par les Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) étaient totalement sécurisés par l’État. Autrement dit, en cas de non-remboursement, le Trésor public se substituait au bénéficiaire pour régler la dette. Ce mécanisme, bien qu’intentionné pour rassurer les investisseurs, a fini par affaiblir la culture de responsabilité. Plusieurs bénéficiaires, parfois résidant encore à l’étranger, se rendaient au Sénégal pour obtenir le financement, puis repartaient sans assurer le remboursement. Cette situation s’est répétée durant des années, souvent sans contrôle ni sanction, parce que la couverture publique garantissait automatiquement les SFD. Chaque mois, l’État remboursait des montants considérables aux SFD, alors même que peu de projets étaient réellement viables. Résultat : des milliards de francs CFA engloutis, des résultats économiques faibles, et un modèle désormais discrédité. Le FAISE est devenu un véritable gouffre à milliards, avec un taux de remboursement extrêmement faible. Ces erreurs de gestion ne doivent plus jamais être reproduites. Il faut impérativement rompre avec ces pratiques et reconstruire un modèle de financement responsable. La DER : confusion entre ambition économique et temporalité politique La Délégation à l’Entrepreneuriat Rapide (DER/FJ) a été conçue pour soutenir les femmes et les jeunes entrepreneurs à travers des financements accessibles. Cependant, rien que son nom pose déjà problème : l’entrepreneuriat ne peut pas être rapide. C’est une démarche de long terme, qui nécessite de la patience, de la formation et un accompagnement constant. Dans la pratique, la DER a souvent privilégié des crédits uniformes de 250 000 F CFA, distribués sans étude approfondie de faisabilité, ce qui a conduit à une perception erronée du dispositif. Beaucoup de bénéficiaires l’assimilaient à des aides publiques plutôt qu’à de véritables crédits remboursables. Cette situation a été accentuée par le timing politique de certaines campagnes de financement, souvent à la veille d’échéances électorales, ce qui a brouillé la frontière entre politique économique et logique électorale. Le PRAO : une incompréhension de la réalité sociale Le Projet Régional des Pêches en Afrique de l’Ouest (PRAO) visait à instaurer un repos biologique de la mer pour préserver les ressources halieutiques et encourager la reconversion des pêcheurs vers d’autres métiers. Mais le projet a échoué à cause d’un manque d’accompagnement social et culturel. Le financement du PRAO était conditionné à l’abandon des outils de pêche traditionnels — pirogues, filets, matériels de capture — sans garantie claire de reconversion ni de revenus alternatifs. Résultat : les pêcheurs, attachés à leur métier et sans alternative crédible, ont refusé de s’y engager. Ce projet rappelle qu’aucune réforme économique ne peut réussir sans une compréhension profonde des réalités locales. Le FONGIP, les SFD et les banques : une sécurité pour eux, un risque pour l’État Le Fonds de Garantie des Investissements Prioritaires (FONGIP) a été créé pour soutenir les porteurs de projets en facilitant leur accès au crédit. Ses ressources proviennent essentiellement de fonds publics, donc de l’État. En pratique, le FONGIP offre aux banques et aux Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) des garanties comprises entre 60 % et 80 %. Mais au lieu de prendre des risques partagés, ces institutions exigent en plus des clients un apport personnel de 20 %, afin d’atteindre une couverture totale de près de 100 %. Autrement dit, elles prêtent sans véritable exposition au risque, tout en conservant leurs marges commerciales. Et quand un projet échoue, c’est encore le Trésor public qui rembourse à travers la garantie du FONGIP. Cette situation est d’autant plus préoccupante que, dans la majorité des cas, les projets financés ne sont pas structurants : ils concernent des activités de revente, de petit commerce ou de transformation artisanale, rarement des initiatives à fort impact productif ou créateur d’emplois durables. Résultat : des milliards de francs CFA engagés, mais peu d’effets visibles sur le terrain. Combien de projets ont réellement été financés ? Combien sont encore en activité aujourd’hui ? Et surtout, combien d’emplois ont été créés par rapport aux montants colossaux dépensés ? En théorie, chaque projet financé par l’État devrait se traduire au minimum par un emploi créé. Mais dans la pratique, le rapport est souvent inversement proportionnel : plus les montants augmentent, plus les résultats se diluent. C’est là toute la préoccupation. Si l’État finance 500 000 projets viables, il peut potentiellement générer entre 500 000 et 2 millions d’emplois directs et indirects. Mais à condition que ces financements soient structurés, suivis et évalués. Le véritable enjeu n’est donc pas seulement de mobiliser les fonds, mais d’assurer la traçabilité et la rentabilité sociale de chaque franc public investi. Mon expérience de terrain : comprendre les risques pour mieux les corriger Fort de plus de 15 ans d’expérience dans le financement et l’accompagnement de projets, j’ai travaillé directement avec des institutions financières, des SFD et des agences de développement. J’ai souvent servi de relais entre les institutions de l’État et les acteurs économiques, observant de près les défaillances de gestion, les failles de gouvernance et les comportements à risque. Cette expérience m’a permis de dresser une véritable cartographie des risques liés aux financements publics : risques de non-remboursement, risques institutionnels, risques de mauvaise sélection et, parfois, risques politiques. Ces constats m’ont conduit à proposer un ensemble de mesures correctives et de solutions concrètes qui, sans prétention, peuvent véritablement transformer le système de financement public. Je reste convaincu que le Sénégal dispose des ressources humaines et des compétences nécessaires pour réussir cette mission. Notre but, à tous, c’est la réussite de ce gouvernement, parce que sa réussite sera celle de tout le peuple. Propositions de solutions concrètes

  1. Première solution : L’utilisation du BIC de la BCEAO

La première étape d’une réforme sérieuse du financement public, c’est l’utilisation systématique du Bureau d’Information sur le Crédit (BIC) de la BCEAO. Le BIC est une base de données régionale qui enregistre l’historique des emprunteurs auprès des banques, SFD et autres institutions financières. Il permet de distinguer les bons payeurs des mauvais, et d’éviter le “papillonnage du crédit”. L’usage du BIC permettrait de : filtrer les bénéficiaires dès la phase d’instruction, assainir les portefeuilles de crédit, et garantir que les fonds publics vont à ceux qui ont un comportement financier responsable. Ce système permet d’identifier et de classer les bons et les mauvais payeurs, en centralisant l’historique de chaque emprunteur. Grâce à cet outil, l’État et les institutions financières pourront éviter le papillonnage du crédit, c’est-à-dire le fait qu’un même individu ou une même structure multiplie les emprunts auprès de plusieurs institutions sans remboursement. Le BIC permettra de créer un véritable échantillonnage des bons clients, garantissant que les fonds publics seront confiés à ceux qui ont un comportement financier responsable. Cela mettra fin aux abus, notamment de la part d’acteurs qui connaissent bien les failles du système bancaire et qui en profitent pour bénéficier plusieurs fois des mêmes facilités.

  1. Deuxième solution : Le financement en deux étapes

Une fois la sélection des bénéficiaires effectuée grâce au BIC, le financement devrait se faire en deux étapes distinctes : Première étape : l’investissement. Financer le matériel, les équipements, l’installation ou la mise en place de l’activité. Ce premier décaissement permet d’observer la mise en œuvre réelle du projet sur le terrain. Deuxième étape : le fonds de roulement. Il n’est débloqué qu’après vérification sur le terrain que le premier financement a bien été utilisé. Ce contrôle physique évite les détournements et favorise la responsabilisation du porteur de projet. Ce modèle n’est pas théorique : il a déjà été testé avec succès par le Conseil départemental de Fatick, en collaboration avec le Centre d’Appui au Développement Local (CADL). Les résultats ont montré qu’un financement séquentiel limite les pertes, renforce la discipline et garantit une meilleure traçabilité des fonds publics. Cette méthode incite à la transparence et à la performance, tout en limitant le gaspillage et la fraude. Ainsi, seuls les projets effectivement opérationnels recevront un deuxième appui, garantissant un meilleur rendement économique et social.

  1. Troisième solution : La finance islamique comme alternative durable

La finance islamique représente une autre solution structurelle. C’est une finance éthique, participative et responsable, qui interdit l’intérêt et privilégie le partage des risques. Dans ce modèle, l’institution financière devient partenaire du porteur de projet, et non simple prêteur. Cette approche évite les dévoiements d’objectifs et garantit que chaque financement est directement lié à une activité réelle et productive. Elle favorise aussi la création d’emplois : chaque projet financé selon les principes de la finance islamique peut générer entre un et cinq emplois directs. C’est une option de plus en plus utilisée dans le monde pour financer les jeunes entrepreneurs, notamment dans les pays émergents. La finance islamique constitue aujourd’hui une référence mondiale en matière de financement inclusif et éthique. Elle repose sur le partage des risques, l’adossement à une activité réelle et l’interdiction de la spéculation. Au Sénégal, nous avons déjà une structure dédiée : le Programme de Promotion de la Microfinance Islamique (PROMISE). Si l’État renforce ce programme, il pourra jouer pleinement son rôle de catalyseur d’un financement éthique et durable. Contrairement aux prêts classiques, la finance islamique favorise la coresponsabilité entre le financeur et le bénéficiaire. Chaque franc investi correspond à une activité concrète, visible et mesurable, créant au moins un emploi direct et plusieurs emplois indirects.

  1. Quatrième solution : La Poste du Sénégal, une suppléance stratégique et une voie de redressement

Il est enfin temps de parler de La Poste du Sénégal. Cette institution publique, symbole historique du service de proximité, traverse aujourd’hui une période de grandes difficultés : tensions de trésorerie, endettement et baisse d’activité. Pourtant, La Poste demeure l’un des rares établissements présents sur tout le territoire, jusque dans les zones rurales les plus isolées, là où aucune banque ni SFD n’opère. Plutôt que de multiplier les intermédiaires, l’État gagnerait à s’appuyer sur La Poste comme suppléance stratégique dans la distribution et la gestion des fonds publics dédiés à l’emploi et à l’entrepreneuriat des jeunes. Comment cela fonctionnerait L’objectif n’est pas de remplacer les banques et les SFD, mais de partager intelligemment les rôles. La Poste pourrait devenir la suppléance naturelle du système bancaire dans le financement public. Une partie des 1 377 milliards F CFA prévus pour les programmes d’emploi pourrait lui être confiée afin qu’elle finance directement les projets des jeunes. Les agents postaux, formés à l’analyse financière, au montage et au suivi de projets, pourraient : évaluer les dossiers, assurer le suivi des bénéficiaires, et garantir le recouvrement des fonds. Ainsi, sur 200 000 projets financés, on obtiendrait autant de nouveaux clients pour La Poste, des comptes ouverts, des frais de dossiers perçus, et une offre de services financiers diversifiée. Ces revenus contribueraient à redresser La Poste, assainir son bilan, et lui redonner la capacité de lever des fonds sur les marchés financiers. Impact financier et économique potentiel Si La Poste du Sénégal recevait 500 milliards F CFA sur les 1 377 milliards prévus : 200 000 jeunes pourraient être financés à hauteur moyenne de 2,5 millions F CFA chacun ; la bancarisation rurale serait accélérée ; la traçabilité des fonds serait garantie ; les revenus générés contribueraient à un redressement durable. Avec son réseau étendu à travers tout le territoire national, jusque dans les zones les plus reculées, La Poste peut devenir un acteur clé de l’inclusion financière. La Poste pourrait prélever de faibles frais de dossier et d’intérêt, à l’instar des banques, tout en restant accessible aux populations à faible revenu. Cette stratégie permettrait à la fois de soutenir l’emploi des jeunes et de redresser financièrement La Poste, aujourd’hui en difficulté. Ce serait une véritable bouffée d’oxygène pour cette institution publique stratégique, tout en contribuant efficacement à l’économie locale. Conclusion : une contribution issue du terrain Cette tribune est le fruit d’une expérience vécue. J’ai travaillé en lien direct avec les institutions financières, les SFD, les programmes publics et les bénéficiaires finaux. Cette proximité m’a permis d’identifier les causes profondes des échecs et d’élaborer des solutions concrètes et applicables. Je reste convaincu que le Sénégal dispose des ressources humaines et institutionnelles pour réussir le pari de l’emploi, à condition de rompre avec les logiques du passé. Bâtissons un modèle fondé sur la rigueur, la traçabilité et la performance. La réussite de ce gouvernement, si elle s’accompagne de cette exigence, sera la réussite de tout le peuple sénégalais. Cette tribune est une invitation au débat et à la réflexion collective sur la meilleure manière d’assurer la réussite du plan des 1 377 milliards pour l’emploi et l’entrepreneuriat des jeunes.

Boubacar NGOM,

Spécialiste en financement et accompagnement de projets

Email : citoyen221@outlook.fr

 

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