Monsieur le Président, après votre discours à l’ONU, place aux actes.
Ce lundi 22 septembre 2025, le président de la République du Sénégal,Monsieur Bassirou Diomaye Diakhar Faye, a prononcé un discours fort affirmant son engagement en faveur de “l’égalité parfaite entre les sexes, l’autonomisation des femmes, la lutte contre les violences basées sur le genre et l’accès des femmes aux postes de décision”.
Le président de la République a également rappelé l’engagement du Sénégal en faveur de la Déclaration de Beijing, qui demeure une référence majeure pour les droits des femmes et des filles à l’échelle mondiale. En tant qu’organisations féministes sénégalaises, nous saluons cette prise de parole symbolique porteuse d’espoir et de reconnaissance.
Toutefois, nous insistons sur le fait que les paroles, aussi fortes soient-elles, ne doivent pas rester de simples performances. Elles doivent être suivies d’actions concrètes et mesurables. Trente ans après Beijing, le défi majeur du Sénégal demeure de traduire ses engagements internationaux en politiques publiques audacieuses et inclusives. Le Sénégal est encore très loin d’atteindre l’égalité entre les sexes, en dépit de ses engagements internationaux.
Les années 2024 et 2025 ont été marquées par une recrudescence alarmante des féminicides dans toutes les régions du pays, révélant l’ampleur des violences systémiques faites aux femmes et aux filles. Les cas de viols, y compris ceux suivis de grossesses, continuent d’augmenter dans un contexte d’impunité persistante, de faiblesse des mécanismes de protection et dans le silence total des autorités.
Sur le plan juridique, plusieurs dispositions nationales demeurent en contradiction flagrante avec les normes internationales.
L’âge légal du mariage fixé à 16 ans pour la fille (Art 111 du Code de la famille) constitue une violation manifeste des droits de l’enfant, tels que consacrés par la Convention relative aux droits de l’enfant, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. Cette disposition discriminatoire condamne encore des filles au mariage précoce, compromettant gravement leur santé, leur éducation et leur autonomie.
Par ailleurs, la pratique obligeant aux femmes d’obtenir l’autorisation du mari pour voyager avec leurs enfants constitue une entrave à leur liberté de mouvement et une atteinte à leurs droits parentaux. Cette pratique, fondamentalement discriminatoire, renforce les inégalités de genre dans l’exercice des droits civils.
D’autres dispositions discriminatoires persistent :
● La represion de l’avortement médicalisé pour les femmes et les filles victimes de viol ou d’inceste ( article 305 et 305 bis du code pénal).
● La complexité de la procédure d’autorisation d’un avortement médicalisé en cas de danger pour la vie de la mère (Art 35 du code de déontologie médicale) ● Le pouvoir exclusif du mari de choisir la résidence du ménage, obligeant la femme à s’y conformer sauf décision contraire du juge (Art 153 CF).
● L’interdiction de la recherche de paternité pour les enfants nés hors mariage ( Art 196 CF).
● Le mariage d’enfant n’est pénalement sanctionné que si le mari consomme ou tente de consommer l’union avec une mineure de moins de 13 ans, laissant la plupart des mariages précoces impunis. (Art 300 du code pénal).
● Le caractère non automatique de la pension de réversion pour les travailleuses ( Art 23 du réglement intérieur relatif au régime général de retraite de l’IPRES), illustrant une discrimination indirecte fondée sur le genre, contraire aux principes d’égalité devant la loi et de non-discrimination garantis par la Constitution Sénégalaise.
Il est essentiel de rappeler que le Sénégal a ratifié le Protocole de Maputo sans réserve, ce qui implique une obligation juridique de mise en conformité de sa législation interne avec les dispositions de ce texte.
Or, cette harmonisation reste largement inachevée. L’écart entre les engagements internationaux du Sénégal et les lois nationales affaiblit la crédibilité de l’État et compromet la réalisation des droits fondamentaux des femmes et des filles.
Nous appelons à une réforme juridique ambitieuse, fondée sur l’égalité réelle, la justice sociale et la reconnaissance pleine du rôle des femmes dans la société. Il est temps de passer de la ratification à l’application, du discours à l’action.
Cela implique :
1. La révision des textes discriminatoires à l’égard des femmes et des filles, notamment dans le Code de la famille, le Code pénal, le Code général des impôts, entre autres.
2. La reconnaissance du féminicide dans la législation pénale.
3. L’harmonisation des lois nationales avec les conventions et traités internationaux ratifiés par le Sénégal.
4. Une parité effective dans toutes les instances de décision : il s’agit de garantir aux femmes l’accès à des postes de haute responsabilité, tant dans la sphère politique que dans l’administration, la justice et le secteur privé.
5. Zéro tolérance pour les violences sexistes et sexuelles : Le plaidoyer pour l’égalité doit s’accompagner d’une lutte rigoureuse contre les violences faites aux femmes. Cela implique l’effectivité des lois protectrices, la formation des forces de l’ordre, et la multiplication des structures d’accueil et de prise en charge holistique.
En cohérence avec les principes énoncés par le Chef de l’État, nous interpellons le gouvernement et le Parlement à traduire cette vision en actes concrets.
Nous, organisations féministes sénégalaises, resteront vigilantes afin que ce discours symbole du Président de la République ne demeure pas sans écho dans les politiques publiques nationales. Les droits des femmes et des filles méritent plus que des mots : ils exigent des réformes courageuses et une volonté politique inébranlable. Le temps est à l’action.
Fait à Dakar , le 23 Septembre 2025
Organisations féministes signataires:
1. Le Réseau des féministes du Sénégal
2. JGEN Sénégal
3. Le Collectif des féministes du Sénégal
4. Sénégal Actions féministes
5. Le Collectif Autorité parentale partagée
6. Association Mères Actives
7. Jigeen Rek ( Réseau des femmes de Louga)
8. ROAJELF Sénégal
9. Molaadé (Association pour la protection des femmes et des enfants)
10. ALTERCOM ( Association pour les femmes et la communication alternative)
11. Collectif DAFADOY
12. Association Actrices Culturelles Ensemble
13. Collectif Jàma
14. Institut Féministe Sénégalais
15. ANOFEN ( Association nouvelles opportunitées pour les femmes et les enfants)
Senegal7
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