4:09 pm - 21 octobre, 2025

Trois ans d’événements, 14 chapitres pour raconter « les abus, les dérives et les douleurs » vécus entre mars 2021 et mars 2024. Cheikh Abdou Mbacké Bara Doly, ancien député et opposant au régime de Macky Sall, vient de publier Le Livre rouge, un ouvrage de 153 pages conçu, selon lui, « comme la réponse citoyenne et politique au Livre blanc de l’APR ».

Présenté comme un travail d’enquête et de mémoire, l’ouvrage dresse un réquisitoire sévère contre la gouvernance de l’ancien président. « Nous ne pouvions pas laisser une seule version de l’histoire s’écrire, celle du pouvoir sortant. Le Livre rouge, c’est la voix de ceux qu’on a réduits au silence », affirme Cheikh Abdou Mbacké Bara Doly lors de la présentation de l’ouvrage à Dakar.

Mars 2021, point de départ d’une décennie de tensions

Tout commence avec les manifestations de mars 2021, marquées par l’arrestation d’Ousmane Sonko et des affrontements meurtriers dans plusieurs villes. Bara Doly situe là le basculement : « C’est le moment où la peur a changé de camp, où le peuple a crié qu’il en avait assez des injustices et des manipulations. »

Ce premier chapitre du Livre rouge revient sur les morts, les blessés, les arrestations massives et les quartiers en feu. L’auteur y voit la matrice des trois années suivantes : répression, emprisonnements, censure et fractures sociales.

Répression, détentions et silence imposé

Dans le sillage de ces événements, l’ouvrage dresse la liste des détenus politiques, estimés à « plus de 1 800 » selon l’auteur. Il y décrit des cas de torture, de détention arbitraire, de procès expéditifs. « Nous avons visité les prisons, recueilli les témoignages des familles. Ce que nous avons vu dépasse la simple opposition politique : c’est une tragédie humaine », écrit-il dans un passage.

Pour Cheikh Abdou Mbacké Bara Doly, l’État sénégalais a alors « basculé dans une logique de peur » : contrôle des médias, musellement de la presse indépendante et usage abusif de la justice à des fins politiques.

Scandales et abus de pouvoir

Dans un autre chapitre, Le Livre rouge explore les « scandales juridiques et financiers » des dernières années du régime Sall. L’auteur évoque des « attributions foncières douteuses », des « marchés publics opaques » et des « dérives budgétaires dissimulées ».
« On a fait du budget national un instrument d’enrichissement politique », accuse-t-il, appelant les nouvelles autorités à ouvrir les dossiers « restés dans les tiroirs du silence ».

Des vies brisées, une mémoire à sauver

L’un des passages les plus poignants du livre concerne les « victimes de la répression ». Bara Doly rend hommage « aux jeunes tombés à Ziguinchor, aux mères endeuillées de Kaolack, à tous ceux dont le sang a coulé pour la liberté ».
Il insiste : « On ne peut pas construire l’avenir sans justice pour les morts de mars 2021. »

Ce devoir de mémoire, dit-il, « n’est pas une vengeance, mais une exigence morale ».

La jeunesse et la résistance citoyenne

L’ouvrage consacre aussi un chapitre à la jeunesse, moteur des mobilisations et victime des dérives. « Ils ont voulu faire taire une génération entière. Mais cette génération a appris à parler fort, à s’organiser, à penser autrement », peut-on lire.
Il dénonce la précarité, le chômage, et l’exil forcé de milliers de jeunes : « Quand un pays pousse ses enfants à partir en mer, c’est que quelque chose ne va plus au sommet. »

Institutions fragilisées, démocratie menacée

Selon Bara Doly, la période 2021-2024 aura aussi été celle du « détournement institutionnel ». Il pointe du doigt la dépendance du Parlement, le rôle du Conseil économique et social et du Haut conseil des collectivités territoriales, qu’il qualifie de « structures budgétivores et politiquement instrumentalisées ».
« Le pouvoir avait étouffé les contre-pouvoirs. Le Livre blanc glorifie douze ans de stabilité ; le Livre rouge révèle douze ans de soumission. »

La dette et les zones d’ombre économiques

Sur le plan économique, Le Livre rouge aborde les polémiques sur la dette publique et les « passifs cachés ». L’auteur s’interroge : « Comment un pays peut-il parler d’émergence alors que sa jeunesse meurt sans emploi et que ses finances publiques sont dissimulées derrière des artifices comptables ? »
Il appelle à un audit complet de la dette et de la gouvernance financière des années Macky Sall.

Casamance et fractures territoriales

Bara Doly évoque également la Casamance, symbole selon lui des inégalités régionales et du « mépris territorial ». Il y dénonce « le sous-développement organisé » et appelle à une vraie politique d’équilibre régional : « Tant que certaines régions vivront dans la marginalité, la paix restera incomplète. »

Mémoire, justice et réconciliation

Le dernier chapitre du Livre rouge s’achève sur une note de vigilance. L’auteur appelle à « rompre le cycle de l’impunité » et à inscrire dans la mémoire nationale les événements de mars 2021. « Ce livre n’est pas une arme contre un homme, mais un miroir tendu à un pays », écrit-il.

Et d’ajouter : « L’histoire jugera chacun de nous selon la place qu’il aura choisie : du côté de la vérité ou du silence. »

Une contre-narration assumée

En filigrane, l’ouvrage de Cheikh Abdou Mbacké Bara Doly apparaît comme une contre-narration politique face au récit institutionnel du Livre blanc de l’APR : un cri de mémoire et de justice, dans un Sénégal encore marqué par les plaies de trois années de turbulences.

Lire l’article original ici.

Suivez l'actualité sénégalaise en temps réel avec l'appli Senego.com disponible sur Android et iOS.

© 2025 Le Quotidien. Tous droits réservés. Réalisé par NewsBlock.
Exit mobile version