L’éducation, bien que considérée comme un droit fondamental consacré et un vecteur de développement, est devenue un secteur où les logiques mercantilistes prennent de plus en plus le dessus sur les logiques de performance au Sénégal. La prolifération des établissements privés, la monétisation abusive des services éducatifs et la marchandisation du savoir soulèvent des questions par rapport à l’équité et à la qualité de l’éducation. Cet état de fait, décrit comme du mercantilisme scolaire suscite,Â
par conséquent, des inquiétudes relatives à l’accessibilité et à la finalité de l’éducation nationale.Â
Un boom vertigineux des établissements privés avec des tarifs hors-bourse Face à une offre éducative insuffisante de l´école publique déjà saturée, les écoles privées se sont proliférées à une cadence effrénée. De la maternelle au supérieur, le privé constitue, de manière exponentielle, le réceptacle d´une grande partie des apprenants. Certains centres éducatifs privés proposent un enseignement de qualité, contrairement à d’autres qui privilégient le profit au grand dam de la pédagogie; ce qui les mène inexorablement vers une mercantilisation à outrance du système éducatif, notamment dans la région de Dakar. Ces établissements scolaires privés (souvent sans personnel qualifié ni infrastructures adaptées) s´arrogent des libertés sans aucune base légale et échappent souvent à tout contrôle des autorités étatiques.Â
Dans un contexte éducatif où l´on prône davantage d´inclusion et d´équité, les frais d’inscription et de scolarité sont dans une tendance inflationniste d´année en année. Ce facteur constitue de plus en plus un réel frein à l´accessibilité des couches vulnérables ou défavorisées à l’éducation et à la formation.Â
Les établissements éducatifs ¨haut-standing¨ appliquent des tarifs onéreux, accentuant encore plus les disparités entre les apprenants issus de familles nanties et ceux des milieux populaires.Â
Des dérives liées aux insuffisances dans l´encadrement et la régulation de l’État Les manquements dans l´encadrement et le contrôle étatiques sur le sous-secteur éducatif privé demeurent toujours et favorisent un foisonnement de centres scolaires totalement en déphasage avec les standards pédagogiques et administratifs en vigueur. Ce non-respect du cahier de charges par certains établissements sape significativement
la qualité des enseignements-apprentissages et la reconnaissance des parchemins qui y sont délivrés.Â
En sus des frais de scolarité, beaucoup d´établissements imposent des charges additionnelles (inscription, réinscription, fournitures, examens, sorties pédagogiques, etc.) aux parents d´élèves en les majorant.Â
Cette tendance inflationniste des tarifs impacte lourdement sur certaines familles, grevant leur bourse et les poussant même à l’endettement ou au décrochage scolaire de certains potaches.Â
Une privatisation des cours de renforcementÂ
Loin d´être une exception, les classes de soutien payantes sont devenues une norme, même dans les établissements scolaires publics où certains enseignants obligent parfois les apprenants à y recourir pour mieux s´en sortir. Cet état de fait foule au pied le principe de gratuité de l’éducation et creuse les écarts entre apprenants issus de milieux favorisés et ceux provenant de zones déshéritées.Â
Des cas de fraude sur des sujets et corrigés d’examensÂ
Dans certains instituts ou certaines universités, des pratiques illicites et peu éthiques telles que la vente de sujets d’examens ou de mémoires de fin de cursus sont notées. Ces agissements fragilisent la crédibilité et la fiabilité des diplômes et favorisent une culture de la facilité au grand dam de la méritocratie.Â
L´impact du mercantilisme scolaire sur le système éducatifÂ
Le mercantilisme scolaire et la marchandisation de l´éducation débouchent sur une éducation à ¨deux vitesses¨, en l´occurrence l´accentuation du fossé entre les établissements publics sous-financés et les écoles privées réservées à une élite, et la persistance de l’inégalité des chances; ce qui réduit considérablement les opportunités pour les apprenants issus de milieux modestes. En outre, la priorité accordée au gain facile pousse certains centres éducatifs à reléguer au second plan la formation des enseignants et les outils pédagogiques. Le manque de rigueur dans certains établissements privés portant préjudice à l’acquisition de compétences solides par les apprenants entraine également une baisse notoire de la qualité éducative. Par ailleurs, une des conséquences majeures de ce phénomène est la perte de valeurs éducatives, vu que l’éducation n’est plus perçue aujourd´hui comme un outil d’émancipation, mais plutôt comme une marchandise où la réussite reste ¨assujettie¨ aux moyens financiers
déployés. Le fléau du ¨diplôme à vendre¨ dans certains instituts ou établissements prive notre pays de compétences réelles et favorise la kakistocratie.Â
Quelques recommandations pour une éducation plus équitable et inclusive Pour le renforcement du contrôle du sous-secteur éducatif privé, l’État doit établir un cadre normatif plus rigoureux et strict pour mieux cerner les charges scolaires et garantir une éducation de qualité. Il est aussi nécessaire d’encadrer et de contrôler l’ouverture des établissements privés pour assurer le respect des standards pédagogiques et administratifs. Par ailleurs, il est fondamental d´investir dans l’éducation publique en améliorant les infrastructures éducatives et les conditions d’enseignement-apprentissage dans les établissements publics, en recrutant et en formant davantage d’enseignants pour bonifier la qualité des enseignements-apprentissages afin d´offrir une alternative crédible au privé.Â
Pour réguler les cours de renforcement et frais annexes, il convient de veiller à  ce qu´ils ne soient pas un passage obligé pour la réussite scolaire et que les charges annexes soient plafonnées dans le souci de ne pas instaurer une entrave financière à  l’éducation.Â
Il faudra également travailler sur la valorisation du mérite et de l’intégrité académique, en mettant en place des sanctions applicables aux établissements ou acteurs impliqués dans la vente de diplômes ou de sujets d’examens, et en promouvant la culture de l’effort et du sacrifice à travers des politiques éducatives et des programmes de bourses pour les apprenants démunis.Â
En définitive, le mercantilisme scolaire au Sénégal compromet sérieusement les principes d’équité et de qualité dans le sous-secteur de l’éducation. Si le secteur privé joue un rôle fondamental dans la réponse aux exigences éducatives et formatives, il ne doit pas être un espace où seuls les plus nantis peuvent accéder à un enseignement de qualité. Un accompagnement rigoureux, un investissement accru dans l’école publique, une régulation et un strict contrôle des pratiques commerciales abusives constituent un impératif pour assurer une éducation accessible et équitable pour tous.Â
*MONCAP/ Enseignement Sup./Education/Form. Pro.Â
Spécialiste en Politiques/Réformes éducativesÂ
Et en Développement Durable, Intervention socio-éducativeÂ
Chargé de la Coopération et des Partenariats Â
IGEF/MENÂ
drmadieumbesene@gmail.com
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