Dans sa longue décision d’une trentaine de pages, la juge Claire Desgens n’entendait pas à rire à l’endroit de celui qui se considère comme «un bon pédophile». Elle l’a d’ailleurs reconnu coupable de voyeurisme, d’actions indécentes et a jugé que ses propos étaient de la production et de la distribution de pornographie juvénile.
L’accusé utilisait le nom de Julien Labrie sur TikTok. Cet individu, qui avait été le codétenu de Lemire au pénitencier, était emprisonné pour avoir tué une personne en situation d’itinérance.
Lemire, qui ne connaissait pas TikTok avant la pandémie, a publié quelque 800 vidéos avec ce compte. Son objectif était de devenir populaire en provoquant et en testant les limites de la plateforme.
La Couronne a choisi 13 extraits diffusés par Lemire en 47 jours pour prouver les infractions. «L’écoute de plusieurs de ces vidéos révèle l’existence de propos choquants, sexistes, misogynes et agressifs, dont des allusions de nature sexuelle à l’égard de mineurs», résume la juge dans sa décision qui a été caviardée.
Ainsi, Lemire filmait des femmes dans des magasins et lançait des commentaires grivois. Et lors d’une vidéo en direct, le délinquant a tenu des propos troublants. «L’accusé arborait une fourchette et un couteau en mentionnant qu’il pourrait inviter des mineures chez lui, tout en faisant allusion au meurtrier Luka Rocco Magnotta.»
«Les faits, pris dans leur globalité, convergent inexorablement à la conclusion que la recherche de “Likes” par la provocation et la transgression de tabous sociaux, sans objectif ni considération artistique autre que de véhiculer ses messages pédopornographiques tout en accroissant sa popularité sur un média social, n’était pas “un but légitime lié aux arts», a analysé la juge Desgens.
Pour la magistrate, «le risque que les propos ainsi diffusés puissent normaliser ou encourager la commission de crimes sexuels envers des enfants était présent.»
Humour
Lemire considère lui-même que ses blagues ne sont pas drôles au premier degré, «mais qu’il s’agit d’humour “intelligent” avec un contenu divertissant».
«Selon lui, les citoyens qui portent plainte ne comprennent rien, incapables de percevoir le deuxième et le troisième degré de son humour. Ses vidéos sont choquantes parce qu’elles s’attaquent à des tabous, mais lui n’est animé d’aucune intention criminelle», relate la juge.
Pour aider Lemire dans sa défense, Christelle Paré, doctorante et chercheure sur la science de l’humour et de la formation dans l’expertise de l’humour, a témoigné. Cette dernière indique que «pour qu’une diffusion soit considérée de l’humour, il ne faut pas que l’œuvre humoristique ne serve que des visées commerciales. Elle doit avoir un message, une mission artistique à accomplir».
Selon Mme Desgens, «l’accusé, en plus de souffrir d’un manque de crédibilité et de fiabilité, ne fait valoir aucun “message”, aucune “mission” ni aucune “démarche artistique” par l’enregistrement et la diffusion de ses différents “lives” et vidéos».
L’experte, elle, convient que «l’accusé avait laissé tomber l’humour pour se concentrer uniquement à choquer ses abonnés». «Une démarche qui fait aussi échec au moyen de défense invoqué», juge Mme Desgens.
D’ailleurs, Lemire a concédé «qu’il n’a jamais étudié à l’École nationale de l’humour ni suivi de quelconque formation humoristique, qu’il n’a jamais fait de stand up, qu’il n’a jamais participé à un spectacle et qu’il n’a pas été présent sur les plateformes de réseaux sociaux avant 2021.»
«Entre l’école secondaire en 2005 et ses diffusions en 2021, le seul contenu humoristique qu’il aurait créé se résume à quelques vidéos où, alors qu’il était à l’école des métiers à Cowansville en 2015-2016, il filmait des outils qu’il faisait parler.»
— Extrait du jugement
D’ailleurs, Lemire s’est présenté lui-même au poste de police de Magog pour porter plainte, puisque sa dernière vidéo en direct lui avait fait craindre pour sa sécurité. Son adresse avait circulé sur les réseaux sociaux. C’est finalement lui qui s’est fait passer les menottes aux poignets.
«L’enquêteur a témoigné avoir reçu, entre le 13 et le 15 juin 2021, environ 26 plaintes provenant de citoyens de partout au Québec relativement aux publications de l’accusé. L’experte a dû confirmer n’avoir jamais entendu parler d’un “humoriste” qui avait fait l’objet d’autant de plaintes criminelles en quelques jours seulement», a rappelé Mme Desgens.
«Gentil pédophile»
Rappelons également que deux agents correctionnels ont témoigné de propos mentionnés par l’accusé. «De sa cellule, il faisait régulièrement l’éloge de potentielles violences sexuelles à l’égard de mineurs».
«Je suis un gentil pédophile, pas un méchant pédophile, a dit l’accusé à un agent de détention. Je ne fais rien de mal. Un méchant pédophile, ça tue les enfants après le sexe, mais moi, je ne leur fais pas de mal», a décrit Lemire, qui a toutefois nié la tenue de ces propos.
Cette preuve a été admise pour «contrer la défense annoncée à l’effet que les vidéos diffusées ne constitueraient pas l’expression de sa pensée, mais strictement du matériel artistique mettant en scène des personnages fictifs».
Lemire devra revenir devant le tribunal dans les prochaines semaines pour les représentations sur sa sentence.
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