Pour la chronique-entrevue d’aujourd’hui, un vol au-dessus d’un renfoncement du sol à proximité d’une terre cultivée, dans la région de Métabetchouan–Lac-à -la-Croix, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Cette photo a été prise à l’automne 2020.
«On voit sur cette photo ce qu’on appelle les fameux kettles du Lac-Saint-Jean, indique Pierre Lahoud. C’est un terme anglais qui veut dire chaudron ou marmite.»
«Ce n’est pas un phénomène d’érosion, mais plutôt des espèces de dépressions dans le sol qu’on retrouve notamment dans le coin de Lac-à -la-Croix, explique l’historien, auteur et photographe. Elles seraient des traces laissées par la fonte du gigantesque glacier qui recouvrait le Québec il y a 10 000 ans. Depuis les airs, on en voit vraiment plusieurs dans ce secteur.»
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«Ce que je trouve beau ici, c’est la manière dont le cultivateur a contourné ce kettle, décrit-il. Du ciel, ça crée une certaine harmonie empreinte de délicatesse avec la façon dont les lignes de coupe de la paille épousent le kettle en entier. Et j’aime bien le sens de dimension donné par la présence de la machinerie, qui en tire de la gravel ou quelque chose du genre.»
«Bref, à travers un phénomène géomorphologique qui remonte à plusieurs milliers d’années, on observe aujourd’hui une adaptation à l’environnement qui sert autant l’agriculteur et l’industriel, soumet M. Lahoud. Et qui est très jolie lorsque photographié du haut des airs!»
Des morceaux de glacier enfouis
«Je confirme que c’est bien un kettle!» assure Patrick Lajeunesse, professeur titulaire au département de géographie de l’Université Laval et spécialiste en géomorphologie, soit l’étude du relief terrestre. «On voit très bien sur cette image des strates inclinées de sable, qu’on peut utiliser comme banc d’emprunt pour faire des routes ou de la construction.»
«Cette photo montre un système fluvio-glaciaire tout à fait typique du Lac-Saint-Jean, explique l’expert en entrevue avec Le Soleil. Généralement, une dépression de ce genre s’est formée quand le glacier qui recouvrait tout le Québec — il y a 10 000 à 12 000 ans — s’est mis à fondre et que de grands morceaux de cette glace sont restés pris, capturés et ensevelis sous les sédiments.»
«Avec la déglaciation, ces gros morceaux de glacier ont fondu et ont formé cette cavité dans le sol.»
—  Patrick Lajeunesse, professeur de géographie à l’Université Laval
«Il s’en trouve beaucoup dans cette région, mais aussi dans plusieurs endroits situés à une heure ou deux de Québec et dans Charlevoix, indique-t-il. C’est assez commun dans la chaîne des Laurentides.»
L’Islande, comme le Québec d’il y a 12 000 ans…
«Un des meilleurs exemples de ce phénomène de kettle qu’on a pu récemment voir en direct remonte à 1996, lorsqu’il y a eu en Islande des crues importantes d’eau de fonte d’un glacier, raconte Patrick Lajeunesse. Les Islandais les appellent les jökulhlaups [ou débâcles glacio-lacustres, comme le suggère l’Office de la langue française]. Ce lac sous-glaciaire s’était vidangé très rapidement, avec de gros morceaux de glace qui étaient entraînés et enfouis dans le sol.»
«Quand on regarde l’Islande aujourd’hui, ça ressemble à chez nous il y a 12 000 ans, compare le spécialiste. On peut s’imaginer de quoi avait l’air le glacier de plus de 2000 mètres d’épaisseur qui recouvrait le Québec — et le nord-est de l’Amérique, jusqu’à Long Island au sud — en regardant l’Islande d’aujourd’hui.»
«C’est intéressant de voir comment cet héritage glaciaire qui s’est passé il y a des milliers d’années a encore des incidences sur notre paysage d’aujourd’hui!» conclut M. Lajeunesse.
— Propos recueillis par Francis Higgins
Info: pierrelahoud.coÂm
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