7:14 am - 20 juin, 2025

C’est en tout cas ce qu’ont essayé de démontrer Me Julien Boulianne et Me Sylvain Morissette devant le juge Richard P. Daoust, jeudi.

«S’ils se mettent à piler sur le droit des individus parce qu’on est en contexte de guerre de redevance, c’est dangereux, et c’est ce qui s’est passé dans ce cas-là», souligne Me Morissette.

Barrage routier

Tout commence le 24 mai 2024, alors que près de 200 jeunes du secondaire fêtent la fin de leurs études lors d’un après-bal à Shipshaw. Il y a pas loin d’une quarantaine de véhicules, et l’un des conducteurs s’est fait intercepter pour conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool.

Deux agents du Service de police de Saguenay (SPS) décident donc d’ériger un barrage routier sur place pour assurer la sécurité de tout un chacun. Ils y vérifient l’état de conduire des jeunes et la validité de leur permis.

Ils finissent par intercepter Mathis Normandin, qui circule avec deux de ses amis, et l’un des agents remarque un sac en bandoulière porté par le conducteur.

Dans un contexte de conflit armé et de guerre de redevance, ce dernier lui semble suspect, puisque sa formation lui a appris que ce genre de sac peut servir à dissimuler une arme de poing. Le comportement de Normandin lui a aussi donné des raisons de croire qu’il était suspect, tandis que le second agent reconnaît l’individu, qui aurait des antécédents de possession dissimulée d’arme et de violence, mais il n’en fait pas part à son collègue.

Ils finissent par le laisser partir et vérifient entre-temps ses antécédents au Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ). Là, ils découvrent que Mathis Normandin aurait un couvre-feu qui l’empêche d’être à l’extérieur entre 22 h et 6 h du matin. Ils contactent alors deux autres de leurs collègues, qui attendaient plus loin pour venir en assistance le cas échéant, et leur demandent d’intercepter à nouveau le véhicule en leur signifiant le bris, mais aussi le sac en bandoulière.

«On a intercepté le véhicule, qui s’est arrêté rapidement, a témoigné l’agent Mathieu Gauthier. Tout le monde était immobile à l’intérieur et regardait vers l’avant. J’ai remarqué que les mouvements de Normandin étaient rapides et il tremblait lorsqu’il m’a passé ses papiers.»

En revanche, il ne voit pas le fameux sac, qui est finalement retrouvé caché dans un casque de deux roues entre les mains de Sacha Fortin, un des amis de Mathis Normandin, qui se trouvait à l’arrière.

Normandin est arrêté pour bris de probation, parce qu’il n’aurait pas respecté son couvre-feu, et les policiers procèdent à une fouille sommaire du véhicule, puis du sac, dans lequel ils retrouvent une arme de poing. Le tout, sans mandat.

Il n’a pas été précisé pourquoi le jeune homme se baladait avec une arme alors qu’il revenait d’une soirée.

«À notre sens, ils n’avaient pas de raison de fouiller. Ce n’est pas parce qu’un flo a un sac en bandoulière qu’il y a une arme dedans. Certes, leur flair était bon, mais on conteste la fouille parce qu’ils n’avaient pas assez d’éléments qui leur permettaient de fouiller», a indiqué Me Boulianne.

«C’est une partie de pêche, a plaidé Me Morissette. Ils ne connaissent pas l’individu, mais ils vont vérifier les antécédents, et ils disent qu’ils font ça couramment.»

Un prétexte

Mathis Normandin et Sacha Fortin ont donc été accusés d’avoir eu en leur possession une arme à feu prohibée sans avoir de permis, d’avoir occupé un véhicule où ils savaient que se trouvait une arme à feu prohibée, d’avoir eu en leur possession une arme à feu prohibée chargée, et de l’avoir transportée d’une manière négligente.

Sacha Fortin, le client de Me Boulianne, a finalement été acquitté de tous les chefs, jeudi, notamment parce qu’il n’avait pas la possession et le contrôle du sac, et qu’il ne savait pas ce qui s’y trouvait à l’intérieur. «Mathis Normandin lui a passé le sac. C’est un peu le principe de la patate chaude», illustre l’avocat.

L’affaire est plus délicate dans le cas de Mathis Normandin et Me Morissette avance que les motifs de l’arrestation n’étaient qu’un prétexte pour mettre la main sur le sac.

Il ajoute que l’arrestation est illégale, puisque les conditions qu’aurait brisées son client n’étaient plus d’actualité depuis plusieurs mois, et que les policiers n’avaient pas poussé leurs vérifications. S’ils l’avaient fait, ils n’auraient pas eu de motifs pour l’arrêter, et n’auraient pas pu fouiller le véhicule et le sac. À cela s’ajoute l’absence de mandat.

«Ils n’ont jamais fait aucune vérification et je pense que ça ne les intéressait pas. Le couvre-feu, c’était un prétexte pour pouvoir fouiller la bourse. Une arrestation sans mandat demeure une procédure extraordinaire, et une fouille doit être véritablement reliée aux motifs de l’arrestation.»

—  Me Sylvain Morissette

De son côté, le procureur de la Couronne, Me Frédéric Dupras, soutient que les policiers ont eu des motifs raisonnables et probables d’arrêter Mathis Normandin et de croire qu’une arme se trouvait dans son sac.

«Ils ont eu des soupçons de croire qu’il y avait une arme à l’intérieur. Ce n’était pas assez pour l’arrêter là-dessus, mais suffisant pour procéder à une fouille pour la sécurité des policiers», explique-t-il.

Pour avoir une fouille légale, les policiers auraient dû attendre d’avoir un mandat, mais selon Me Dupras, la fin justifierait les moyens.

«C’est l’urgence de la situation et l’enjeu de sécurité qui justifient la fouille selon moi, continue-t-il. Les policiers savent que le véhicule va être arrêté, alors ils préviennent leurs collègues pour le sac, pour leur sécurité.»

Le juge Richard P. Daoust devra rendre sa décision le 4 juillet prochain et déterminer si oui ou non, la fouille et l’arrestation de Mathis Normandin étaient légales.

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Le Soleil est un quotidien francophone de Québec. Fondé le 28 décembre 1896, il est publié en format compact depuis avril 2006.

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