Il vaut la peine d’y revenir un peu, je pense. Cela permettra de comprendre quel est ce (petit) fond de vérité d’où ils sont partis. Et, peut-être plus important, comment la Maison-Blanche a tordu les faits et les données — et pourquoi les autorités sanitaires continuent de recommander l’acétaminophène aux femmes enceintes qui en ont besoin.
Pas d’hier…
Ça fait quand même un certain temps que la question du lien autisme-acétaminophène est légitimement soulevée, en science. Dès 2021, dans Nature Reviews – Endocrinology, près d’une centaine de chercheurs et de cliniciens exprimaient des inquiétudes sur les effets du «Tylenol» pris pendant la grossesse. Ils n’apportaient aucune preuve forte, mais, à leurs yeux, les expériences sur les animaux et les études épidémiologiques (certaines rapportent un risque accru d’autisme et/ou d’hyperactivité, par exemple) justifiaient une certaine prudence.
Sans aller jusqu’à dire aux femmes enceintes de ne plus en prendre, ils estimaient qu’il valait mieux, par principe de précaution, en limiter la consommation.
Ce qui semble avoir mis la puce à l’oreille du président américain, c’est une nouvelle revue de littérature (qui fait le tour des études disponibles sur une question donnée) publiée cet été dans Environmental Health. Elle non plus ne fait pas la preuve que l’acétaminophène cause l’autisme : elle ne fait que constater une association statistique — ce qui est un point majeur, j’y reviens tout de suite.
Et elle non plus ne recommande pas aux femmes enceintes d’éviter carrément ce médicament. «Bien que cette association incite à la prudence, des douleurs ou de la fièvre non traitées chez les femmes enceinte posent un risque pour le bébé, comme des malformations du tube neural [la partie de l’embryon qui devient éventuellement le cerveau et la moelle épinière] et une naissance prématurée, ce qui appelle à une approche équilibrée. Nous recommandons un usage judicieux de l’acétaminophène chez la femme enceinte — plus faible dose jugée efficace, courte durée de consommation — sous supervision médicale», écrivent les auteurs de la revue.
Bref, rien ne justifie la panique qui s’est emparée de certains coins du web, mais ne peut donc pas dire non plus que Trump et cie ont tout inventé.
L’ennui, pour eux, c’est que les choses se gâtent pas mal dès qu’on prend un peu de recul…
Peu de convaincus
D’abord, la Maison-Blanche a annoncé des «progrès majeurs dans notre compréhension des causes profondes de l’autisme» alors que ça n’est clairement pas le cas. Les auteurs de l’article de cette année parlent eux-mêmes d’une «association» dont le sens (qu’est-ce qui cause quoi) n’est pas encore bien établi. Ils estiment «plausible» que ce soit l’acétaminophène qui est la cause, mais on ne peut pas dire que leur article a convaincu grand-monde dans les communautés scientifique et médicale.
Le fait que l’auteur principal de cet article, Andrea Baccarelli, maintenant doyen de l’école de santé publique de Harvard, ait reçu des honoraires de 150 000 $ pour témoigner dans une poursuite contre Tylenol n’a probablement pas aidé, mais il y a plus.
Il faut dire que lui et ses co-auteurs n’étaient pas les premiers à faire ce genre d’exercice. Quelques mois avant eux, en février de cette année, une autre équipe avait passé au peigne fin la littérature scientifique sur la même question. Mais leur article publié dans Obstetrics & Gynecology n’est pas arrivé aux mêmes conclusions — alors là, pas du tout.
«D’après les connaissances scientifiques actuelles, il est improbable que l’exposition in utero à l’acétaminophène accroisse de manière cliniquement significative le risque de TDAH ou d’autisme. L’état actuel des évidences scientifiques ne justifient pas de revoir les directives pour le traitement des douleurs ou de la fièvre pendant la grossesse», concluait l’étude.
C’est qu’il y a une foule de «facteurs confondants», comme disent les chercheurs, dans cette histoire. Si une femme enceinte attrape un virus, la fièvre qui s’ensuit peut elle-même avoir des conséquences néfastes sur le fœtus. Alors, si des études épidémiologiques observent que les femmes qui prennent de l’acétaminophène pendant leur grossesse ont plus d’enfants autistes que les autres, est-ce que c’est à cause de la fièvre, d’autres symptômes de l’infection ou du médicament?
De la même manière, on sait que l’autisme est statistiquement associé à une hyperflexibilité, qui est souvent présente aussi chez les parents et qui peut mener à des douleurs aux articulations. Mine de rien, ça aussi, ça peut expliquer l’association autisme-acétaminophène sans que le médicament ne soit en cause : les mères hyperflexibles sont à la fois plus susceptibles d’avoir des enfants autistes et de souffrir des douleurs articulatoires, donc de prendre du Tylenol pendant leur grossesse.
Dans ce genre de situation, les scientifiques et les autorités médicales essaient d’identifier quelles études sont les plus robustes, les moins biaisées, et ils s’y fient davantage qu’au reste. À cet égard, il y a eu un article qui est paru l’an dernier dans le Journal of the American Medical Association et qui est généralement considéré comme le plus solide sur la question. C’est du moins de cette manière que l’a décrit le Collège américain de gynécologie et d’obstétrique et les chercheurs qui ont commenté la position de la Maison-Blanche sur le site du Science Media Centre britannique.
Ses auteurs, il faut le dire, ont vraiment pris les grands moyens pour éliminer autant que possible les biais qui grèvent les autres études. Essentiellement, ils ont cherché dans un registre de 2,5 millions de naissances en Suède entre 1995 et 2019 pour trouver des frères et/ou sœurs nés d’une même mère qui avait utilisé de l’acétaminophène pendant la grossesse (cette information était notée dans tous les dossiers) de l’un, mais pas de l’autre. De cette manière, ils sont parvenus à garder constants une bonne partie des variables qui étaient problématiques dans les autre études.
Les conclusions sont sans équivoque : aucune augmentation du TDAH ou de l’autisme n’a été constatée.
Surtout génétique
Et ça n’est pas particulièrement étonnant, parce que ça concorde bien avec ce qu’on sait des causes de l’autisme, soit qu’il s’agit d’un trouble en grande partie génétique. Plusieurs «études de jumeaux» (qui comparent des paires de jumeaux identiques et non identiques pour mesurer le rôle que jouent les gènes dans certaines maladies ou caractéristiques) ont placé aux alentours de 80 % la part des gènes dans l’autisme.
Ça n’est pas cohérent du tout avec l’idée que la consommation d’acétaminophène pendant la grossesse serait un facteur déterminant. Si vraiment c’était le cas, alors cela invaliderait presque toutes les études de jumeaux faites à ce jour, ce qui est totalement invraisemblable.
À la limite, on pourrait peut-être plaider que les femmes qui se savent porteuses des gènes de l’autisme pourraient faire un peu attention pendant leur grossesse — ce serait à voir avec son médecin. Mais dans l’ensemble, l’idée que l’acétaminophène est un facteur important de l’autisme et du TDAH, comme l’ont affirmé MM. Trump et Kennedy, ne convainc pas beaucoup de gens parmi ceux qui s’y connaissent.
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