Près de neuf dollars sur dix de cette somme globale ira directement aux producteurs ou à leurs associations.
Parmi les mesures prévues:
- 30 millions de dollars pour raccorder les fermes au réseau triphasé nécessaire pour les besoins électriques élevés;
- 21 millions pour des projets en zone littorale;
- 10 millions pour réduire les gaz à effet de serre (GES);
- 6 millions pour développer des outils et des connaissances.
Le gouvernement souhaite ainsi accompagner les entreprises agricoles dans une double transition: les aider à devenir plus résilientes face aux aléas climatiques tout en réduisant leurs émissions de GES, qui exacerbent ces incidents météorologiques.
Financement d’équipement et de pratiques novatrices
Comment? L’enveloppe bonifiée et décaissée sur cinq ans servira notamment à financer des équipements et des pratiques agricoles plus durables. Par exemple, un séchoir à grain alimenté à la biomasse plutôt qu’au gaz naturel permettrait de réduire l’utilisation de combustibles fossiles.
Des initiatives pourraient aller du soutien à la recherche sur de nouvelles variétés cultivables résistantes au gel hivernal jusqu’à l’achat de machinerie permettant aux producteurs de grains d’adopter des méthodes réduisant leur empreinte carbone tout en favorisant la santé des sols.
Si l’électrification complète des moissonneuses-batteuses et des tracteurs n’est pas encore envisageable, d’autres leviers sont accessibles. L’objectif d’offrir des solutions adaptées aux diverses réalités régionales des producteurs partout au Québec demeure.
Pour Québec, qui dit avoir injecté 360 millions de dollars dans le verdissement des pratiques et la résilience climatique des fermes et entreprises bioalimentaires depuis 2013, ce soutien est stratégique.
«Le secteur agricole est en première ligne face aux aléas climatiques, mais il est aussi un levier pour atteindre nos cibles environnementales», a rappelé le ministre de l’Environnement, Benoit Charette.
Son collègue à l’Agriculture, André Lamontagne, parle d’un «soutien concret à la ferme» qui vise aussi l’autonomie alimentaire.
Un fonds orientant, un marché carbone fragile
«Ces montants sont nettement en deçà des attentes du milieu», déplore pour sa part l’Union des producteurs agricoles (UPA). L’organisation salue l’annonce, qu’elle qualifie de «bien structurée» et «positive», mais au bout du fil, on sent son président Martin Caron tiraillé entre espoir et prudence.
«Chaque fois que de nouvelles sommes sont annoncées pour les agriculteurs, qu‘il y a une rétribution, c’est positif. Mais ce nouveau montant de 81 millions, c’est l’équivalent de ce que les producteurs ont payé en un an via le Fonds d’électrification et de changements climatiques [FECC]. En 2024 seulement, ça nous a coûté 85 millions. On finance ces programmes-là nous-mêmes, et à la fin, la balance n’est pas positive de notre côté», martèle le producteur laitier à la tête de l’UPA.
Les principes fondateurs du fameux FECC sont éprouvés ces jours-ci, depuis la fin de la taxe carbone au Canada. Le fonds gouvernemental a été mis sur pied par Québec en 2020 dans le cadre de sa stratégie de lutte contre les changements climatiques. Il est principalement alimenté par le produit de la vente des droits d’émission de GES dans le système de plafonnement et d’échange – le marché du carbone Québec-Californie.
Le coût du carbone a d’ailleurs chuté de 20 % lors de la dernière enchère, passant de 44 $ la tonne métrique en 2024 à 36 $ en mai 2025.
Les programmes du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) destinés aux agriculteurs sont en partie financés par ce marché du carbone. Les producteurs y contribuent eux aussi, chaque fois qu’ils font le plein de diesel, de propane ou d’essence. Les sommes ainsi récoltées reviennent ensuite, en partie, sous forme de soutien direct aux entreprises agricoles.
Liquidités limitées, application injuste
Pour lui, c’est un non-sens que les agriculteurs paient la taxe carbone, alors qu’ils n’ont pas les liquidités pour acheter les équipements pour profiter de ces subventions.
«Il faut un remboursement direct parce qu’on ne peut pas juste marcher avec des programmes où nos producteurs doivent investir, dans la machinerie par exemple, pour avoir droit à ces subventions. Parce que là, si tu n’as pas les moyens de l’acheter, tu n’as pas accès à l’aide», plaide-t-il en rappelant que le syndicat réclame depuis des années le remboursement des coûts liés à la tarification du carbone ou, à défaut, le réinvestissement intégral des sommes perçues dans des mesures structurantes.
Il dit notamment que les provinces voisines «ne payent pas ces frais-là».
«Aux États-Unis, la Farm Bill donne des montants directs aux producteurs pour la conservation. Ici, on demande aux producteurs de payer 50 ou 75 % de la nouvelle machinerie pour avoir droit à une aide.»
Il rappelle le contexte difficile actuel, surtout que selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, le revenu net agricole est en chute libre et l’endettement augmente.
«Les producteurs n’ont pas la marge de manœuvre pour faire des investissements majeurs. Les équipements nécessaires à la transition, on ne les rentabilise pas sur quatre ou cinq ans, mais sur 15 ans. C’est lourd pour des fermes familiales qui doivent être aussi performantes que des entreprises étrangères concurrentes qui n’ont pas les mêmes normes environnementales, agricoles, de bien-être animal et du travail».
Les énergies fossiles dans la mire
Seulement entre 11 % et 18 % des émissions de GES du secteur agricole sont actuellement soumises à un coût carbone, selon le ministère de l’Environnement. Ces émissions sont principalement liées à l’usage du propane pour chauffer les bâtiments d’élevage, comme les porcheries ou les poulaillers, ou encore au gaz utilisé dans les séchoirs à grains.
Les émissions agricoles non énergétiques — méthane des ruminants, protoxyde d’azote des engrais — ne sont pas tarifées à ce jour.
Plus largement, au Québec, l’agriculture génère environ 10,6 % des émissions de GES d’origine humaine, au-delà du changement d’affectation des terres.
Elle se classe ainsi au troisième rang des secteurs les plus polluants, derrière les transports (42,8 %) et les industries (30,6 %), selon les données du MELCCFP (2022).
Solutions à implanter
Des solutions existent: migrer vers l’énergie issue de biomasse, moderniser les systèmes de chauffage ou encore adopter des pratiques culturales moins énergivores comme la réduction du travail du sol, qui diminue la consommation de diesel.
«Des solutions existent, oui, mais encore faut-il pouvoir se les payer», répond en substance Martin Caron en donnant l’exemple du semis direct, une méthode qui permet d’épargner du diesel en réduisant le nombre de passage au champ.
«Un semoir adapté, ça coûte cher. Même chose pour les systèmes de chauffage ou les structures écoénergétiques. L’intention est bonne, mais, avec le revenu net en chute et l’endettement en hausse, les fermes n’ont pas toujours les reins pour suivre», insiste-t-il.
Pour le président de l’UPA, difficile de ne pas entendre l’épuisement derrière l’engagement. «On travaille des heures et des heures, avec passion, mais ça vient gruger la vie de famille, parfois jusqu’à la séparation, confie-t-il. Nos jeunes voient ça. Ils voient qu’on met tout, et qu’on n’est pas toujours reconnus.»
Le président de l’UPA insiste: la transition climatique est nécessaire, oui, mais elle doit être possible.
«On parle de pérennité des entreprises agricoles. Mais il faut aussi penser à celle des familles qui les portent.»
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