Pour son dernier bulletin jeudi soir, il n’était pas question de la laisser partir après 37 ans de carrière à TVA sans saluer sa carrière.
Ça a donné 90 minutes de témoignages touchants, autant de personnalités, de collègues que de gens du public.
La cheffe d’antenne avait choisi de pré-enregistrer ses adieux, qu’elle a lus sur une feuille en jetant des coups d’œil à la caméra.
«Je ne voulais pas me transformer en rivière à la fin. Ce mot-là , je le trouvais important: je l’ai pensé, structuré. Ma hantise, c’était d’oublier des gens», m’a-t-elle confié après ses adieux, dans les nouveaux studios du 4545 de la rue Frontenac.
Ces gens, son équipe, c’est ce qui lui manquera le plus. Pour le reste, il n’y a que du bonheur qui l’attend.
«On n’est plus dans les mauvaises nouvelles. Mon baril est plein de ça depuis 37 ans. Je m’en vais ailleurs», confie-t-elle avec un certain soulagement et surtout aucun regret.
Quinze minutes après le début du bulletin de 17 h, Paul Larocque a pris le contrôle des ondes pour cette occasion bien spéciale.
Le premier ministre François Legault, le PDG de Québecor, Pierre Karl Péladeau, la grande Diane Dufresne, Chantal Machabée ont tous voulu saluer sa carrière et lui souhaiter le meilleur pour sa «retraite».
Dans un segment particulièrement touchant, des femmes journalistes ont confié comment elle les avaient inspirées. Sa fidèle complice de la météo, Colette Provencher, l’a tutoyée en ondes pour la première fois.
«Sophie, je vais te demander de ne pas me regarder», lui a-t-elle dit, sur le bord de craquer elle aussi.
«Retraite? Erreur, grave erreur! Sophie va juste poursuivre sa carrière», a-t-elle insisté.
La joute des analystes n’a pas fait relâche, permettant cette fois aux «jouteurs» Mario Dumont et Emmanuelle Latraverse de rendre hommage à la cheffe d’antenne sortante.
«Humanité, sens de la justice et élégance», a souligné Dumont, qui l’avait reçue chez lui à l’époque où il dirigeait l’ADQ.
Ses collègues, qu’elle a tous inspirés, ont parlé d’un «phare», d’un «modèle», d’une «personne que tout le monde aime», vantant aussi son «calme légendaire».
L’émission contenait beaucoup d’extraits d’archives, notamment parce que Sophie Thibault a conservé des boîtes et des boîtes de VHS de sa carrière.
Elle est entrée à ce qu’on appelait encore Télé-Métropole en 1988, d’abord comme reporter, puis comme cheffe d’antenne du week-end, de 1995 à 2001.
Et dire que la jeune et timide Sophie ne se destinait absolument pas à ce métier, elle dont le père, Marc Thibault, a longtemps dirigé l’information à Radio-Canada. Après un bref détour en psycho, elle a dû se raviser: le journalisme était sa vocation.
«J’ai fait beaucoup pour impressionner papa», a-t-elle avoué à Ève-Marie Lortie, plus tôt cette semaine à Salut bonjour.
J’étais à la conférence de presse du 21 mai 2002, annonçant sa nomination comme première femme cheffe d’antenne en Amérique du Nord à animer un bulletin de fin de soirée en solo. Je m’en souviens comme si c’était hier.
À peu près en même temps, Véronique Cloutier tournait Les dangereux, Claude Robinson dénonçait CINAR et Radio-Canada mettait ses employés en lock-out.
Philippe Lapointe, le vice-président information et affaires publiques d’alors, l’avait présentée comme «l’homme de la situation». Une façon de dire qu’elle n’avait pas été choisie parce qu’elle était une femme, mais bien parce qu’elle était la meilleure pour le poste.
«Nous avions une liste de 59 noms, tous réseaux confondus, et ce choix s’est imposé», avait-il ajouté, précisant qu’elle recevrait le même salaire qu’un homme dans le même siège. C’était fort de signification en 2002.
Comme Céline Galipeau chez le concurrent, elle avait dû se montrer patiente quand trois ans plus tôt, on lui avait préféré Simon Durivage, très identifié à Radio-Canada, pour mener le 22 h.
Elle a fini par le briser, ce fameux plafond de verre.
Très discrète sur sa vie privée, la cheffe d’antenne aura presque attendu la toute fin avant d’entrouvrir la porte sur son amour pour l’ancienne journaliste Dominique Poirier, apparue à ses côtés à En direct de l’univers en avril dernier.
La récipiendaire de neuf trophées Artis dit qu’elle ne part pas à la retraite, mais «en communion avec ses oiseaux».
Elle continuera de communiquer avec les 180 000 abonnés de sa page Facebook de photographe.
«Au lieu d’être la messagère du chaos, je serai la messagère de la beauté du monde», se plaît-elle à dire.
Qu’a-t-elle à dire à ses jeunes collègues, qui arrivent en pleine crise des médias?
«Je leur dis de s’accrocher. C’est un métier tellement important, on est des phares dans la nuit et ça n’a jamais été aussi vrai.»
Julie Marcoux prendra la relève de Sophie Thibault au TVA Nouvelles de 17h dès le 20 juin.

Quelques passages de ses adieux
«Je voulais vous exprimer d’abord ma gratitude, vous dire l’honneur qui a été le mien de servir dans ce beau métier, d’établir les faits, vérifier, contre-vérifier, douter, être à l’affût des mensonges, des manipulations, contrecarrer la proverbiale cassette. Le journalisme, en ces temps troubles, n’a jamais été aussi essentiel à mon humble avis.»
«Je suis arrivée, jeune poulette du printemps, en mai 88, à Télé-Métropole, dans une salle sans fenêtre, sans ordinateur, sans cellulaire, avec une pagette et un télésouffleur à manivelle. Mon parcours commence avec la dactylo et se termine avec les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle dans un nouveau studio moderne.»
«Cette retraite en est une de l’info au quotidien, mais j’espère poursuivre avec vous les échanges sur mes réseaux sociaux. On va se concentrer sur la nature, l’environnement, la science, les oiseaux. Les oiseaux qui nous enseignent une chose essentielle: peu importe la hauteur d’où l’on part, on peut toujours s’élever.»
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