Histoire de ne pas faire trop long, j’avais effectivement laissé cette question de côté dans mon article de septembre sur le (petit) fond de vérité qu’il y avait dans la position de la Maison-Blanche au sujet du lien entre l’acétaminophène et l’autisme — et sur les (grosses) déformations, dont Donald, Trump et son secrétaire à la santé, le militant anti-vaccin Robert F. Kennedy, se sont rendus coupables en même temps.
Mais la question se pose: y a-t-il vraiment une hausse des cas d’autisme dans nos sociétés? Et si l’acétaminophène pendant la grossesse n’est pas en cause, contrairement à ce que la Maison-Blanche a affirmé, alors qu’est-ce qui l’est?
Hausse réelle
L’autisme est un «trouble du développement» qui cause des difficultés de langage et dans les interactions sociales. Les personnes atteintes montrent aussi souvent des champs d’intérêt restreints, mais intenses, ainsi que des comportements répétitifs.
Les problèmes sont généralement détectés pendant la petite enfance, et il est absolument indéniable que le nombre de diagnostics a augmenté depuis 25 ans. En fait, il a carrément explosé: depuis le début des années 2000, la part des jeunes de 0-24 ans ayant un diagnostic d’autisme au Québec a été plus que décuplée, passant d’environ 0,2 % à 2,5 %, comme le montre ce graphique de l’Institut de la santé publique.
La tendance est la même à l’échelle canadienne : un rapport fédéral indiquait qu’environ 1,5 % des enfants de 5 à 17 ans en étaient atteints en 2015, alors qu’une étude publiée dans le British Medical Journal – Open indiquait 1,8 % au Canada pour 2019, et d’autres sources parlaient même de 2 % pour cette année-là. (Mais il faut faire attention, ici, parce que les groupes d’âges considérés ne sont pas toujours les mêmes.)
La même chose a été observée aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Une étude parue cette année dans Risk Management and Healthcare a conclu que la prévalence de l’autisme s’est accrue de 0,13 % par année en moyenne entre 1990 et 2021 à l’échelle mondiale.
Surtout génétique
Il est extrêmement invraisemblable que cette hausse fulgurante ait été causée par des médicaments comme l’acétaminophène, et encore moins par les vaccins, puisque les troubles du spectre de l’autisme sont principalement d’origine génétique. Plusieurs «études de jumeaux» (qui comparent des paires de jumeaux identiques et non identiques pour mesurer le rôle que jouent les gènes dans certaines maladies ou caractéristiques) ont en effet placé aux alentours de 80 % la part des gènes dans les TSA.
Mais d’un autre côté, il serait encore plus invraisemblable que les gènes responsables de ce trouble se soient disséminés à ce point dans la population en si peu de temps. Alors, quelle explication reste-t-il ?
Il n’y a pas 36 possibilités. La thèse qui est généralement acceptée dans la communauté scientifique et médicale est que l’autisme n’est pas plus ou moins fréquent qu’avant — la part de gens qui ont ces traits mentaux et de personnalité est restée constante dans le temps. C’est plutôt la définition de l’autisme qui a été élargie, sans doute «aidée» par une sensibilisation accrue qui aurait mené à un meilleur dépistage.

L’autisme a été découvert dans les années 1940 par le psychiatre austro-américain Leo Kanner, qui avait remarqué que certains enfants montraient de sévères déficits dans leurs interactions sociales sans que le reste de leurs facultés intellectuelles ne soit le moindrement affecté. Quand la première version du DSM (pour Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder, qui est le principal «guide» de diagnostic en psychiatrie) est parue, en 1952, l’autisme était défini par six critères et un enfant devait tous les avoir pour être considéré comme autiste.
Dans les années 1980, cependant, une nouvelle mouture du DSM fut publiée. L’autisme était alors défini au moyen de 16 critères ou «symptômes», mais il en fallait alors seulement la moitié (8/16) pour avoir le diagnostic. Mine de rien, juste ce changement-là a fait passer la prévalence de l’autisme de 1 par 5000 environ à 1 par 1400, lit-on sur le site de l’organisme Arizona Autism United.
D’autres changements ont suivi. Par exemple, à partir de l’an 2000 environ, on a commencé à considérer un autre problème mental nommé trouble envahissant du développement comme une forme d’autisme. D’après des calculs faits par les auteurs d’une étude parue en 2012 dans Autism Research, cela a fait passer la prévalence de l’autisme de 17 par 10 000 à (tenez-vous bien) 62 par 10 000.
En même temps que ces changements de définition (et d’autres) survenaient, la communauté médicale et les milieux de l’enseignement devenaient de plus en plus conscients du fait qu’il y a, parmi nous, un certain nombre de gens qui sont «neurodivergents», comme on les appelle aussi. Cela a donc amélioré le dépistage d’un trouble dont la définition s’élargissait de plus en plus — soit la recette parfaite pour avoir une explosion des diagnostics sans que le trouble en question ne soit vraiment plus fréquent qu’avant.
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