Immense tragédienne surnommée «la divine» ou encore «l’Impératrice du théâtre», Sarah Bernhardt fut en son temps la toute première vraie star internationale, bien avant que le terme n’existe.
D’ailleurs, l’expression «monstre sacré», qui semble banale de nos jours, a été inventée – par Jean Cocteau, dit-on – pour elle.
Le film de Guillaume Nicloux plonge dans le Paris du XXIe siècle, pour retracer le riche parcours de cette comédienne qui joue (et jouit) sans aucune modestie de son statut de «trésor National».
La femme derrière la légende
Mais au-delà du velours, du faste et des lustres scintillants, La divine propose surtout de partir à la rencontre de «la femme derrière la légende».
«C’est une femme que je me suis mise à adorer. À vénérer, même. Et j’ai essayé de ne pas être intimidée par tous les superlatifs qui m’auraient encombrée si j’avais fait cas de chacun d’eux… parce qu’entre “la voix d’or”, “le monstre sacré”, etc. [cela m’aurait] tétanisée», confesse en entrevue Sandrine Kiberlain, ravie d’avoir pu embrasser la démesure, l’outrance et «la folie» de cette pionnière.
Une femme de paradoxes
Les premières versions du scénario (signé par Nathalie Leuthreau), dévoile-t-elle, avaient adopté un récit plus conventionnel, où l’on évoque davantage l’enfance et l’adolescence de Sarah, explique la comédienne. «Puis ça s’est épuré et ça s’est centré sur “elle et sur son intimité”, “elle et ses coulisses”, “elle et [ses] paradoxes”».
«Le succès, l’amour de tous, elle a dû les chercher en [réaction] à son enfance maltraitée et le manque d’amour» maternel, poursuit Sandrine Kiberlain. «L’abandon conditionnera sa vie pour toujours», puisqu’elle finira par accorder son cœur «à un homme qui ne l’aime plus», fait-elle valoir en évoquant Lucien Guitry (père du dramaturge Sacha), personnage campé par Laurent Lafitte.
Sandrine Kiberlain a aussi «adoré» que le film s’intéresse moins au succès de Sarah Bernhardt qu’à l’impact qu’elle a pu avoir sur la société de son époque, grâce à sa notoriété.
Une femme libre
Sidérée par cette femme libre «sexuellement, intellectuellement, politiquement», Sandrine Kiberlain se dit aussi fascinée par «tout ce qu’elle a transformé, tout ce qu’elle a osé dire… et faire, parce que c’est quelqu’un qui agissait».
«Quand elle disait “Il faut sauver les soldats, les soigner”, elle ne laissait pas les autres le faire à sa place: elle y allait!»
— Sandrine Kiberlain
Dans cette société patriarcale qui n’avait cure de l’opinion des femmes, Sarah Bernhardt s’est souciée de combattre l’antisémitisme, ajoute Sandrine Kiberlain.
«Et puis, sexuellement, elle a [relativement ouvertement] aimé d’autres femmes à une époque où on n’osait même pas dire qu’il [était temps d’] enlever les corsets des robes pour libérer les femmes de tout ce qui les contraignait.»
Sarah Bernhardt «plaisait aux hommes, physiquement et elle avait une vie sexuelle débridée», liée au fait «qu’elle aimait les gens entièrement». Le film ne se gêne pas de faire état (avec tact) de sa polyandrie.
Bande-annonce du film «Sarah Bernhardt, la divine»
(Immina Films)
Amour exclusif et amours inclusifs
Sandrine Kiberlain évoque une scène de lit dans laquelle s’intègrent deux autres partenaires, dont les ébats finiront par «déborder sur le piano».
«C’est une scène très brève, que Guillaume a failli [couper] au montage par souci de rythme, mais c’était pour moi presque une obligation de montrer que ses amis étaient aussi ses amants.
«[…] J’ai dit “non, c’est pas possible de faire sauter cette scène ultra importante [dans ce qu’elle dit] du corps, de la liberté sexuelle”» et de ce microcosme dans lequel évoluait cette petite élite culturelle parisienne: un milieu «de portes ouvertes, où ça vibrait dans tous les sens».
Sarah Bernhardt savait toutefois faire «la part des choses entre [aimer et] avoir des aventures», note Sandrine Kiberlain, en mentionnant la relation d’«amitié amoureuse» s’étirant sur plusieurs décennies que la tragédienne entretiendra avec une poignée d’hommes triés sur le volet.
Le film s’étant autorisé certaines libertés historiques, ceux-ci sont amalgamés dans le personnage de Lucien Guitry.

Cet «amour exclusif» dans lequel «elle mettait toute sa confiance» sans accorder l’exclusivité de son corps était «bizarrement vécu», mais Sarah l’assumait jusque dans son courrier, atteste la comédienne.
«Mais quand sa confiance était trahie, c’est comme» une déchirure faisant ressurgir la douleur «abyssale» de l’abandon maternel.
Moderniser Sarah
Le personnage pouvait sembler intimidant, mais la comédienne ne s’est pas laissée écraser: «Je me suis dit “Il faut inventer une Sarah: la nôtre!” Il y avait 1000 façons de la faire. […] Je l’ai abordée comme [n’importe quel autre] personnages, avec l’idée d’être sincère dans l’instant.»
Son travail visait non pas l’imitation, mais une réinterprétation, plus susceptible de rendre justice à la modernité du personnage. Il fallait l’incarner dans «l’esprit de son temps», de façon à ce que le public d’aujourd’hui puisse saisir son magnétisme. L’intention, «c’est surtout de retranscrire le sentiment qu’elle nous évoque», en veillant à rendre plus accessible la fascination que la grande tragédienne suscitait au 19e siècle.
«Pour moi, c’est avant tout une femme moderne», dans ses valeurs et ses idées. «Nous, on pense être les premières à dire ‘Il faut libérer la parole des femmes!, […], mais elle a commencé il y a plus de 100 ans.» «Comment retranscrire ça aujourd’hui? En étant “moderne” dans ces décors et ces costumes», ce qui ne signifie rien de plus qu’«être sincère».
«De toute façon, l’imitation» était impensable, s’est rapidement rendue compte Sandrine Kiberlain.
«Elle a été très souvent illustrée et peinte, mais elle change [complètement d’apparence] d’une photo à une autre, d’une peinture à une autre: elle devient brune ou rousse, maigre ou grosse. »

Les photos qui existent de «la divine» la montre déjà passablement âgée, et Sandrine Kiberlain ne leur a guère prêté attention. En tant que comédienne, «ce qui m’intéresse, c’est [d’embrasser] un point de vue, celui d’un réalisateur [et de véhiculer] ce qu’il a choisi de montrer» ou de taire.
«Deux mois avant [le tournage], j’ai appris le texte comme une folle, pour pouvoir m’en libérer et trouver mon propre langage, mon propre rythme. En fait, c’est beaucoup le rythme qui m’amène [au personnage]. Sarah, elle, elle ne s’assoit pas, elle va vite, elle acte les choses, et elle joue en permanence – sauf quand elle se retrouve seule…»
Les frais du voyage à Paris ont été payés par Unifrance.
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