La situation est alarmante, marquée par une absence de relève qualifiée, en raison de conditions de travail insuffisantes — tant au niveau des salaires que du soutien sur le terrain — qui rendent l’attraction de nouvelles éducatrices presque impossible et la fidélisation du personnel en place difficile.
Les programmes de formation (DEC) en petite enfance sont sous-inscrits ou ferment tout simplement, faute d’inscriptions. Plusieurs finissants poursuivent vers d’autres domaines connexes, et nombreuses sont les éducatrices (4000 l’an dernier) qui choisissent de quitter le secteur pour d’autres domaines, ou vers le milieu scolaire, exacerbant la crise.
Croissance du réseau
Le réseau des CPE se trouve également sous pression pour croître rapidement, face à une demande de places en constante augmentation, avec des milliers d’enfants sur les listes d’attente pour une seule installation.
Cependant, l’ouverture de nouvelles places est freinée par le manque de personnel qualifié et de ressources financières adéquates pour mener à bien le chantier, malgré la volonté de tous à créer davantage de places subventionnées.
Il convient également de nuancer certaines données publiées ces derniers jours, car nombre des 30 000 nouvelles places annoncées sont en réalité des reconversions d’établissements privés en milieux subventionnés, ce qui n’augmente pas véritablement l’offre de places à proprement parler.
Le nouveau guichet unique d’attribution des places, présenté par le gouvernement comme une mesure révolutionnaire pour rendre l’accès aux services de garde «plus accessible et plus équitable», tend à présenter les directions de CPE comme de médiocres gestionnaires. Bref, pénaliser une majorité qui suit les règles depuis toujours pour une minorité abusant du système en place.
Réalité du terrain
Bien que l’intention soit louable, le projet de loi comporte encore des défis qui ne tiennent pas compte de la réalité du terrain. Certaines familles risquent ainsi de se retrouver pénalisées par des mesures qui ne sont pas adaptées à toutes les situations. Sans oublier la crainte que le système informatique ne soit pas à la hauteur, surtout au regard des précédentes expériences en matière d’évolution informatique au sein du gouvernement, qui n’ont pas toujours été concluantes.
Qualité éducative
Quant à la qualité éducative, elle est mise à mal par le recours à des personnes non qualifiées pour occuper des postes d’éducatrices, ainsi que par une formation initiale et continue insuffisante.
Faute de relève et de main-d’œuvre, le réseau se voit contraint d’embaucher du personnel sans formation ou des personnes détentrices de formations courtes et manquant d’expérience.
Dans ces conditions, il devient difficile d’assurer le niveau de qualité attendu. Les directions de CPE se retrouvent face à de véritables dilemmes: interrompre les services, fermer des groupes ou embaucher du personnel non formé et sans expérience? Quelle que soit la décision, ce sont les familles, et plus directement les enfants, qui en ressortent affectés.
Intégration des enfants ayant des besoins particuliers
Le soutien aux enfants ayant des besoins particuliers est également une priorité, mais il reste insuffisant. Nous manquons de personnel spécialisé (éducatrices et aides-éducatrices) et le financement alloué ne tient pas compte de la réalité propre à chaque milieu et à chaque enfant. Par exemple, un enfant ayant un TSA n’a pas les mêmes besoins qu’un autre avec des troubles du langage, mais il reçoit pourtant le même financement de base, sauf en cas de «mesure exceptionnelle», qui est difficile à obtenir à la hauteur des réels besoins. Cette situation est aggravée par un manque de clarté et de communication entre le ministère, les parents et les spécialistes quant à l’utilisation possible de ces subventions, et par des obstacles administratifs qui rendent l’accès à l’aide financière complexe.
Dans de nombreux cas, malgré l’absence de financement adéquat, les CPE offrent un soutien, à perte, par simple vocation et désir d’aider les enfants à se développer dans un environnement inclusif et adapté. C’est un engagement, certes, mais qui met une pression énorme sur les dirigeants et sur le personnel déjà surchargé.
En résumé, le milieu des CPE souffre et les directions n’en peuvent plus de voir le bateau couler.
Et bien que nous soyons conscients des limites budgétaires du gouvernement et de l’instabilité économique actuelle, si celui-ci affirme réellement que l’éducation des enfants est une priorité, s’il veut préserver la santé de son réseau de CPE et s’il considère le retour des femmes sur le marché du travail comme étant important, il est essentiel qu’il écoute ceux et celles qui affrontent ces défis au quotidien.
Il est grand temps de mettre en place des solutions concrètes, durables et adaptées aux réalités du terrain.
Tina Fournier Ouellet, directrice générale, CPE PolichinelleRégion de la Capitale-Nationale
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