Les deux firmes ayant reçu ce message sont le Groupe SEMA, de Sainte-Flavie, près de Mont-Joli, détenteur d’un contrat valant 74,8 millions de dollars pour la réfection de neuf structures, et Construction Stellaire, de Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec. Dans ce cas, la valeur du contrat signé en 2024 avec Transports Québec s’élevait à 37 millions et il touche aussi neuf structures de tailles très variables. La suspension dans ce cas vaut 7,3 millions.
Cette lettre s’ajoute au renvoi du même secteur ferroviaire, donc de Port-Daniel à Gaspé, à un statut de «planification» pour des raisons budgétaires, le 25 mars. Jusqu’à cette date, sa réfection était en voie de réalisation dans le Programme québécois des infrastructures.
Seuls les contrats déjà accordés avaient été protégés lors de l’annonce du budget, mais 18 jours plus tard, une somme s’élevant à 20 % de leur valeur est suspendue. Le 25 mars et lors des jours suivants, Transports Québec avait invoqué d’importants dépassements des sommes prévues lors de la publication de deux appels d’offres. Ces dépassements s’établissaient à 150 millions, en sus du budget global de 872 millions déterminé en juin 2023.
Le président-directeur général du Groupe SEMA, Rock Morel, a été surpris et déçu de recevoir la lettre de Transports Québec.
«On ne l’attendait pas. Ce n’est pas une façon de faire que j’ai vue. On peut continuer sur le reste des travaux entrepris, mais on arrête tout sur des contrats d’une valeur de 13,9 millions», commente M. Morel, qui compte un peu plus de 35 ans d’expérience dans le domaine ferroviaire, le seul secteur d’activités de SEMA.
«J’ai vu des changements à des contrats à cause des conditions des structures qui n’étaient pas comme lors de l’inspection préalable, mais pour des coupures budgétaires, je n’ai jamais vu ça», assure-t-il.
Devant l’inconnu, et l’insécurité que la suspension de 20 % des travaux génère au sein de l’entreprise, Rock Morel a mis l’affaire dans les mains des avocats du Groupe SEMA.
«Même si c’est “juste“ 20 %, ça change toute la planification. Est-ce que ce [le contrat] sera annulé au bout d’un mois? Est-ce que la décision prendra trois, cinq, six autres semaines?»
— Rock Morel, président-directeur général du Groupe SEMA
«Il y a une grande inquiétude; la main-d’œuvre. Il y a si peu de ressources en construction que si la main-d’œuvre n’est pas rassurée, elle s’en va. Il y a une surenchère constante dans le domaine de la construction. On a une équipe de base, mais tous nos autres employés sont embauchés en fonction du décret de la construction. Ça nous prend du solide. Il faut les rassurer constamment», analyse M. Morel.
La direction de Construction Stellaire préfère ne pas commenter la situation pour le moment.
Transports Québec n’a pas répondu à une sollicitation du Soleil formulée le 17 avril au sujet des contrats en partie suspendus.
Une inquiétude grandissante en Gaspésie
Le président de la Société du chemin de fer de la Gaspésie, Éric Dubé, est inquiet de la suspension partielle des deux contrats accordés au Groupe SEMA et à Construction Stellaire.
«Je ne sais pas ce que ça veut dire, mettre une partie des contrats sur pause. Je suis surpris et inquiet. Je ne connais pas les raisons et il n’y a rien de pire que le néant. On ne sait pas où on s’en va», note M. Dubé, qui est maintenant à la tête de la Société du chemin de fer de la Gaspésie, un transporteur sous contrôle municipal, depuis 11 ans.
«Ce que je ne comprends pas, c’est qu’au cours de la semaine suivant le budget, on a eu une rencontre de suivi avec les gens de Transports Québec, et qu’on nous a dit que “les contrats signés vont être honorés“. Je crains que le délai d’un mois serve à calculer l’indemnité pour annuler les contrats.»
— Éric Dubé, président de la Société du chemin de fer de la Gaspésie
Rock Morel signale de son côté que de 25 à 30 % des travaux inscrits au contrat de 75 millions de dollars du Groupe SEMA sont réalisés. «Nous planifions de terminer le contrat avant la fin de 2025», précise-t-il.
Deux grands ponts, celui enjambant la Grande rivière, dans la ville du même nom, de même que celui de Prével, à la limite municipale de Percé et de Gaspé, comptent parmi les travaux compris dans le contrat de SEMA.
La réfection du chemin de fer entre Matapédia et Gaspé constitue un enjeu qui remonte aux années 2000. Un vaste plan en ce sens a plus tard été lancé, le 5 mai 2017. Sa facture finale, de 872 millions de dollars, a été annoncée le 27 juin 2023 par la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, à Gaspé.
En novembre, le premier ministre François Legault est venu à Gaspé redire que son gouvernement s’engageait à terminer cette réfection jusqu’à Gaspé à temps pour les élections de l’automne 2026.
Il est déjà acquis que ce délai ne sera pas respecté puisque les deux appels d’offres s’étant soldés en début d’année par un important dépassement des prévisions n’ont toujours pas été relancés.
L’ouverture d’un chemin de fer réparé jusqu’à Port-Daniel est prévue pour le courant de l’été, à des fins de transport de marchandises.
La direction du transporteur public de passagers VIA Rail maintient qu’elle ne reviendra entre Matapédia et Gaspé qu’au moment où tout le tronçon sera fonctionnel.
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