10:35 pm - 22 octobre, 2025

En plus de réfléchir et de créer des produits, les Beaucerons continuent d’en fabriquer. Plein. Du petit atelier de gros haltères Pépin, à Saint-Éphrem, à la grande usine de petits gâteaux Vachon, à Sainte-Marie.

La touche beauceronne joue un rôle clé dans l’épanouissement, voire la survie d’environ 430 entreprises manufacturières au cœur de cette région de 120 000 personnes.

La délocalisation en Asie, le besoin grandissant de travailleurs étrangers et la guerre des tarifs rendent la situation des manufacturiers précaire partout au Québec.

Mais pourquoi les Beaucerons résistent-ils et, surtout, comment?

«On n’est pas des suiveux!» lance Aude Simard, sous l’approbation de ses collègues assis dans la salle de réunion, au deuxième étage.

Ce matin-là, l’équipe des bains MAAX nous accueille dans son usine de Sainte-Marie.

Venue des bureaux de Lachine, à Montréal, Mme Simard est vice-présidente au marketing et au développement des produits. Autour de la table: le surintendant de l’usine, Éric Morency, la jeune superviseuse Mélissa Parent, le designer industriel Steve Donnelly et la directrice des ressources humaines, Mélanie Carrier.

«C’est caractéristique de la Beauce. Toujours vouloir en donner plus. On n’est pas des yes-men», résume Mme Carrier.

L’entreprise fondée en 1969 à Tring-Jonction, tout juste 25 kilomètres au sud, garde sa personnalité beauceronne. Même si Placide Poulin, l’un des fondateurs et longtemps grand patron, l’a vendue à des intérêts américains dès 2004.

Propriétaire de MAAX depuis 2017, American Bath Group a son siège social au Tennessee et compte une cinquantaine d’usines. MAAX a cinq usines au Canada, dont deux en Beauce, et emploie plus de 750 personnes.

Faire partie d’une plus grande entité a aussi ses bons côtés, estime le groupe d’employés.

«En recherche et développement, on a agrandi notre carré de sable. Avant, on enviait des produits concurrents et on disait “Ah, mais on n’a pas les procédés de fabrication pour faire ça. On aimerait faire ça, mais on n’a pas ces machines-là”. Aujourd’hui, je les ai toutes!» fait valoir le designer industriel Donnelly.

Un peu plus de 160 personnes, dont une dizaine de femmes, travaillent sur le plancher de l’usine de Sainte-Marie pour produire environ 440 baignoires, douches et bases de douche chaque jour.

Un modèle en constant changement

Ancien commissaire industriel du Conseil économique de Beauce, Bastien Lapierre est loin d’envisager la fin du manufacturier en Beauce. «C’est plus le modèle du manufacturier qui se renouvelle», explique-t-il, soulignant que les changements se succèdent à une vitesse de plus en plus accélérée. «Des changements, il en arrive aux deux, trois ans. L’entrepreneur vit dans l’incertitude, mais il est pris pour prendre des décisions quand même, des décisions courageuses», affirme M. Lapierre.

Louis Lessard en a pris des décisions au fil des ans. Et il continue de le faire pour ses deux usines de confection de vêtements situées à Saint-Joseph.

Les Chemises L.L. Lessard comptent parmi les rares survivants du secteur textile québécois, dernier des Mohicans dans une région qui, il n’y a pas si longtemps, comportait quasiment une usine de confection par village. Quand un jean sur quatre portés en Amérique du Nord était fabriqué en Beauce. Quand le plus grand employeur en Beauce était le manufacturier de denim RGR, fermé en 2011.

«Quand on est rendu que le pont de l’île d’Orléans ne sera pas fait au Canada… Il va arriver par bateau… On est rendu qu’on est capable d’importer des ponts, alors imaginez-vous une chemise!»

—  Louis Lessard, propriétaire des Chemises L.L. Lessard

Le ministère des Transports du Québec n’a pas encore choisi le fabricant du pont de l’île. Mais le concept retenu défavorise les entreprises québécoises, comme la beauceronne Canam.

Lors de la visite du Soleil, la vingtaine de couturières de l’usine de chemises L.L. Lessard – l’autre usine fabrique les pantalons – devaient produire en un temps record 500 chemises de sécurité orange fluo pour des travailleurs de chantiers dans le Nord sous la gouverne de Josée Carrier, forte de ses 31 ans d’expérience dans la boîte.

«Je n’ai pas ma propre étiquette. Mais si la chemise n’est pas designed in Canada ou bien made in Canada, il y a pas mal de chances qu’elle soit faite ici», indique M. Lessard, notant la nuance dans l’étiquetage.

«Il y a encore deux ou trois endroits au Québec qui en font. En Ontario, il n’y en a plus. Le reste du Canada, je ne pense pas qu’ils fassent de chemises.»

Ne jamais abandonner

La force des Beaucerons? Ne jamais abandonner, estime celui qui a intégré l’entreprise familiale en pleine faillite technique, dans les années 1990.

«Ne jamais abandonner, ça peut faire qu’on est encore là aujourd’hui. Ce n’est pas juste moi, mais tous ceux qui sont restés avec nous dans les tempêtes», insiste M. Lessard, qui se diversifie avec la coupe de panneaux acoustiques et isolants.

L’homme d’affaires croit que pour préserver le secteur du vêtement, «la strate de la société qui peut se le permettre devrait être pas mal plus assidue sur la façon d’acheter des vêtements».

«On parle beaucoup des aliments, mais on devrait avoir cette conscience-là pour les vêtements. Notre lobby du vêtement n’est pas fort», constate le patron des Chemises L.L. Lessard.

Logée à Saint-Éphrem, Filature Lemieux s’avère la dernière filature de laine d’importance au Québec. L’entreprise, qui fêtera 120 ans d’existence l’an prochain, est dirigée par deux arrière-petits-fils du fondateur.

Louis Lessard est un entrepreneur de troisième génération. Il continue l’œuvre amorcée par son grand-père Léo, puis poursuivie par son père Laurier, qui vient encore à l’usine chaque jour, et sa tante Lisette. Son fils Loïc – vous aurez compris la thématique des prénoms en L – n’a pas l’intention de prendre le relais. Il travaille dans l’entreprise familiale dirigée par sa mère, Charlyne Ratté, des Pneus Ratté.

Le cœur décisionnel

Le commissaire industriel à la retraite Bastien Lapierre pointe l’aspect primordial de «la propriété du capital». «C’est ça qui a créé la Beauce!» tranche-t-il.

«Même si la compagnie a des usines partout dans le monde, la dernière que tu vas couper, c’est celle où tu habites.»

—  Bastien Lapierre, commissaire industriel à la retraite

Comme chez Garaga, avec la famille Gendreau : les jumeaux Maxime et Martin ont repris l’affaire de portes de garage lancée par leur père Michel. Leur sœur Isabelle s’occupe du bureau d’investissement familial.

«Les décisions se prennent dans la Beauce, qui reste le cœur décisionnel», garantit Maxime, coprésident responsable du secteur de la fabrication.

Nous l’avons rencontré dans ses bureaux fraîchement rénovés de l’usine de Saint-Georges. Garaga possède d’autres usines à Barrie en Ontario, à Bemidji au Minnesota et, la plus grosse, à Ponca City en Oklahoma, en plus d’un centre de distribution à Montréal.

Ils fabriquent et vendent des portes de garage de 4 à 29 pieds de largeur, du cabanon au bâtiment de ferme.

«Nous autres, c’est sûr qu’on veut une croissance continue. Petits pas vont loin! Comme on dit, on aime aller vite, mais on n’est pas pressé», sourit Maxime Gendreau, confiant en l’avenir de son entreprise en Beauce.

Les Gendreau possèdent aussi le fabricant de portes et fenêtres Novatech. L’entreprise génère plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires annuel.

Ce texte fait partie du magazine Le Soleil Affaires, aussi disponible en version électronique intégrale.

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Le Soleil est un quotidien francophone de Québec. Fondé le 28 décembre 1896, il est publié en format compact depuis avril 2006.

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