3:07 pm - 20 juin, 2025
Il y a encore quelques mois, Nabou Lèye faisait partie des visages lumineux d’un Dakar jeune et bouillonnant. Danseuse vive, actrice montante, figure familière de TikTok et des clips de stars sénégalaises, elle incarnait cette énergie brute que l’on associe à la réussite. À ses côtés, presque toujours, le charismatique Aziz Dabala, de son vrai nom Abdou Aziz Ba. Complices de danse, compagnons de galère, amis inséparables. Jusqu’à ce soir tragique d’août 2024.

Le 13 août, dans un appartement de Pikine Technopole, Aziz Dabala est retrouvé poignardé à mort, aux côtés de son protégé Boubacar Gano, surnommé Waly. Une scène d’horreur. Du sang sur les murs. Des cris dans le quartier. Très vite, un nom ressurgit, choquant ceux qui connaissaient la proximité quasi filiale entre eux : celui de Nabou Lèye.

Une relation fusionnelle devenue suspicion

Dans leur quartier de Guinaw Rail, tous les connaissaient. Toujours fourrés ensemble. Ils dansaient dans les clips de Tarba Mbaye, riaient sur TikTok, se retrouvaient sur les plateaux. Elle l’appelait « papa », lui la présentait comme une sœur. La famille d’Aziz Dabala l’avait adoptée. Leur lien était public, intense, presque sacré.
 
Mais l’enquête de la Division des Investigations Criminelles révèle un autre décor : tensions avec Waly, désaccords persistants, une dispute le soir du drame. Selon des indiscrétions, Nabou aurait demandé à ce que Waly quitte l’appartement. Aziz aurait refusé. Quelques heures plus tard, tous deux étaient morts.

Nabou, présente dans l’appartement, aurait été en contact avec les agresseurs jusqu’à 4 heures du matin. Inculpée pour association de malfaiteurs et complicité d’assassinat, elle a été incarcérée, puis libérée provisoirement deux mois plus tard.
 
Sa libération a créé une onde de choc. À Guinaw Rail, les proches d’Aziz ont organisé des marches, imprimé des tee-shirts « Justice pour Aziz », se sont indignés dans les médias. La mère du défunt s’est effondrée. Le quartier gronde. Et Nabou disparaît. Pas un mot. Pas une apparition. Jusqu’à ce que l’éclairage bleu d’un écran de téléphone la ramène brutalement sur le devant de la scène.
 
Sur Instagram, sur TikTok, elle danse à nouveau. Souriante. Apprêtée. Taille basse, maquillage maîtrisé, musique d’Ashs The Best ou de Waly Seck en fond. Des vidéos courtes, mais lourdes de sens. Et la colère renaît : « Une honte », « Elle n’a aucun respect », « Comment peut-elle danser après ce qu’elle a vécu ? ». La vindicte populaire se déchaîne. Mais derrière ce retour numérique se cache une autre réalité : celle d’une femme recluse, invisible, brisée.

Une liberté sous contrôle, sous regard, sous silence

« Poster, pour Nabou, ce n’est pas défier la mémoire des morts. C’est tenter de ne pas mourir elle-même. Elle ne provoque personne. Elle cherche juste un peu de lumière dans sa nuit », confie un proche. Dans sa bulle, elle ne reçoit presque plus de visites. Les amis se sont faits rares. La peur de s’associer à elle ou de la trahir involontairement les a éloignés. Son téléphone est silencieux. Ses comptes, surveillés. Elle ne parle à personne, ne répond à aucun média. Mais elle voit tout : rumeurs, mensonges, spéculations. Certains ont prétendu qu’elle s’était enfuie aux USA. D’autres, qu’elle s’était mariée en secret.
 
« Elle lit ces ragots avec une douleur muette. Mais elle ne riposte pas. Elle veut juste qu’on la laisse tranquille, qu’on lui laisse une chance de respirer », poursuit ce proche. Aujourd’hui, elle vit au rythme lent et incertain de la justice. Chaque jour ressemble au précédent, dans l’attente d’un procès. Le soupçon reste collé à sa peau. « Ce n’est plus une vie pour elle », confie un ami de longue date, sous couvert d’anonymat. « Elle vit cloîtrée, se cache, évite tout contact. Même aller au marché est devenu une épreuve » ;  Les rares fois où elle sort, c’est avec un foulard enfoncé sur la tête, des lunettes noires, le visage masqué. Elle redoute les regards, les mots violents, les prises à partie.
 
Sa mère, qui vit avec elle, veille au moindre détail. Elle la soutient, la protège, la console. Ce que beaucoup ignorent, c’est qu’au-delà des accusations, Nabou a perdu un être cher. Aziz n’était pas seulement un ami : elle l’appelait « papa ». Ils avaient une relation fusionnelle. « Sa mort, elle ne s’en remet pas. Ce deuil, elle le vit seule. Sans droit à la parole publique. Car dans l’opinion, son chagrin est suspect. Tout ce qu’elle fait est interprété comme une provocation », ajoute son confident dans L’Observateur. Aujourd’hui, elle ne danse plus au centre du cercle. Elle se terre derrière des rideaux tirés. Depuis sa libération, elle survit.
 
Révélée par la danse, portée par le succès de la série Emprises, elle est désormais privée de tout ce qui faisait son monde. La scène, les tournages, les réseaux sociaux : autant de territoires perdus. Elle est dehors, mais toujours enfermée. « Elle ne demande pas la pitié. Elle veut juste le droit d’exister, sans se justifier. Le plus dur, c’est de ne plus pouvoir exercer son métier. »
 
Une défense silencieuse

Dans ce tumulte, une voix tente de ramener le débat à sa juste mesure : celle de son avocat. Calme, posé, il ne cache pas son agacement face à ce qu’il appelle une « instrumentalisation émotionnelle d’un dossier encore à l’instruction ». « Dès son interpellation, Nabou Lèye et toute sa famille ont reçu des consignes strictes : ne jamais s’exprimer dans les médias. Et ils s’y sont tenus avec rigueur », confie-t-il à L’Observateur. Il rappelle que sa cliente est toujours placée sous contrôle judiciaire : elle doit émarger chaque mois.
 
« Ce n’est pas une liberté totale. La libération provisoire n’était pas un passe-droit, mais un acte judiciaire fondé sur les éléments du dossier. » Il martèle : « Ceux qui s’agitent autour de sa libération ne savent pas ce qu’il y a dans ce dossier. Nous, si ». Il souligne que Nabou a respecté toutes les recommandations de ses avocats : elle s’est retirée, installée dans un endroit tenu secret. Quant aux critiques sur ses apparitions en ligne, il rétorque : « Ce n’est pas de la provocation. C’est une forme de résilience ».  Il ajoute que sa santé mentale s’est dégradée : « Elle a pris du poids, s’est enfermée. La danse est un moyen de ne pas sombrer. »
 
Il déplore les rumeurs : mariage secret, fuite à l’étranger. « Tout le monde oublie que Nabou est aussi une victime. Elle a perdu quelqu’un qu’elle considérait comme un père. Que veut-on d’elle ? Qu’elle reste enfermée deux ans, sans revenu, sans thérapie, sans perspective ? » Pour lui, la réponse est claire : « Elle a droit à une existence digne. Et tant que la justice ne s’est pas prononcée, personne ne peut l’en priver». 

Le regard de la société, l’écho de la conscience

Si l’affaire fait autant parler, c’est aussi parce qu’elle touche à des zones sensibles : mémoire des morts, responsabilité morale, rapport au pardon. Le sociologue Abdou Khadre Sanokho, spécialiste des dynamiques sociales, analyse le traitement réservé à Nabou. « Juridiquement, elle est libre. Mais en réalité, elle vit dans une autre forme de prison : celle de la conscience ». Il invite à dépasser l’image : « On peut danser, poster des vidéos. Mais la conscience, elle, ne ment pas ».
 
Il rappelle que la société l’a condamnée avant le procès. « C’est la vindicte populaire qui l’a brûlée sur TikTok, Facebook, WhatsApp. » Peut-être, dit-il, que Nabou cherche aujourd’hui à reconquérir son image. « C’est peut-être sa manière de répondre. Mais même un ami tué dans de telles circonstances mérite une certaine retenue ».
 
Il nuance : « Personne ne sait ce qu’elle a enduré en détention. Même si elle était lavée de tout soupçon, il lui restera cette trace sociale. » Et de conclure : « La mort sociale est parfois plus violente. Aujourd’hui, Nabou Lèye la vit en silence ».
 
Une vie suspendue à un verdict
 
Entre les murs de sa nouvelle vie, Nabou Lèye avance à tâtons. Ce qu’elle vit, peu le savent vraiment… Ce qu’elle ressent, encore moins. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle ne danse plus comme avant. Ce n’est plus le même tempo. Plus la même insouciance. Il y a dans ses gestes, même les plus gracieux, une tension contenue, une douleur qui sourd. Comme si son corps disait ce que sa bouche ne peut pas. Comme si elle cherchait, à travers chaque mouvement, à retrouver un peu de ce qu’elle a perdu. Son téléphone reste souvent en veille. Par choix.
 
 Par prudence. Elle ne répond plus aux appels inconnus, aux commentaires. Elle se contente de publier, parfois, une vidéo, comme on glisse une bouteille à la mer. Un mouvement. Un sourire discret. Une posture. Rien d’explosif, mais toujours perçu comme une déflagration. Car aujourd’hui, chaque apparition devient un symbole, chaque chorégraphie, une question. Est-ce qu’elle va trop vite ? Est-ce qu’elle provoque? Est-ce qu’elle pleure en silence? Est-ce qu’elle est coupable ? Il n’y a pas de réponse simple…
 
Dans l’attente d’un procès, dans la brume d’une mémoire collective encore vive, elle demeure une figure controversée, une ombre en lumière. Accusée, mais non jugée. Visible, mais absente. Vivante, mais figée. Malgré la force qu’elle essaie d’afficher, Nabou Lèye reste une femme en exil. Un exil de ses certitudes, de son métier, de ses liens d’hier.
 

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