Tout a commencé par un message reçu dans ma boîte de courriels, le 21 juillet dernier. Un certain Dean Fournier m’interpelle au sujet de ces jumelages devenus inactifs.
«Je suis un Canadien errant: élevé à Gatineau, parti vivre aux États-Unis en 1996. J’ai une résidence secondaire à Châteaudun, en France, depuis 2012. Au dîner l’autre jour avec le maire de Châteaudun, Fabien Verdier, ce dernier m’a dit qu’il était dommage que le jumelage entre Châteaudun et Cap-de-la-Madeleine n’existait plus. Il reconnaît que c’est depuis la fusion de Cap-de-la-Madeleine avec Trois-Rivières que tout s’est arrêté. La ville de Châteaudun est aujourd’hui jumelée avec quatre villes européennes (en Allemagne, en Espagne, en Irlande et en Tchéquie), avec lesquelles il y a beaucoup d’échanges culturels et commerciaux. Monsieur Verdier aimerait bien pouvoir renouveler le jumelage avec Trois-Rivières.»
Mais comment se fait-il que ce monsieur m’interpelle ainsi au sujet des jumelages?
Sans doute parce qu’en 2016, j’avais signé un éditorial intitulé «Relançons les jumelages» et qui traitait déjà de la façon cavalière avec laquelle Trois-Rivières s’est séparée de Tours – ville jumelle de Trois-Rivières avant la fusion – et de Châteaudun – ville jumelle de Cap-de-la-Madeleine à la même époque.
Sa curiosité piquée par la conversation qu’il a eue avec le maire de Châteaudun, Monsieur Fournier a fouillé un peu sur le web et il a, en effet, retrouvé la trace de cet éditorial.
J’y faisais mention de l’effritement des amitiés transatlantiques que des élus et des citoyens ont construites par le passé. Ça peut devenir plus pratique qu’on pense lorsque vient le temps, par exemple, de faire de la prospection économique à l’international, en France plus particulièrement. À ce chapitre, mis à part quelques missions ponctuelles qui ne donnent rien de durable, Trois-Rivières fait encore piètre figure.
Il suffit de comparer la vitalité avec laquelle Drummondville entretient son jumelage avec La Roche-sur-Yon, dans les Pays-de-la-Loire, pour constater à quel point Trois-Rivières passe à côté d’un outil intéressant.
Le jumelage entre Trois-Rivières et Tours a été scellé officiellement en 1973 et il repose essentiellement sur un lien historique fort. C’est à Tours qu’est née Marie de l’Incarnation, religieuse qui a quitté la France pour le Canada en 1639, afin de fonder une communauté des Ursulines à Québec. Cinquante-huit ans plus tard, des ursulines de Québec viennent fonder un monastère à Trois-Rivières.
Le jumelage entre l’ancienne ville de Cap-de-la-Madeleine et la ville de Châteaudun, dans la région Centre–Val de Loire, a été conclu avant celui de Trois-Rivières avec Tours. Le 9 juillet 1971, le protocole de jumelage des deux villes a été signé par les maires J.-Réal Desrosiers de Cap-de-la-Madeleine et Paul Gauchery de Châteaudun.
Là aussi c’est une page d’histoire qui a servi à jeter les bases du jumelage. En 1636, alors que le roi Louis XIV avait concédé la seigneurie de La Madeleine à Jacques de La Ferté, abbé de La Madeleine à Châteaudun. Depuis, le nom de Châteaudun a longtemps été associé au quartier Sainte-Bernadette, à Cap-de-la-Madeleine, et lors de la fusion, on a donné le nom de Châteaudun à un district électoral municipal de la nouvelle ville. La toponymie trifluvienne rend aussi hommage à l’abbé Jacques de La Ferté, ainsi qu’au maire Paul Gauchery, qui a scellé le jumelage en 1971.
Fait intéressant à noter, la toponymie de la ville de Châteaudun rend aussi hommage à Cap-de-la-Madeleine, puisqu’on a choisi de donner ce nom à la place publique qui jouxte l’église de La Madeleine.
C’est dire à quel point les villes françaises et québécoises étaient fières de conclure des ententes de jumelage et de les rendre vivantes et visibles.
Longtemps, de tels jumelages se concrétisaient surtout par des échanges culturels, des amitiés réciproques et quelques étudiants qui s’échangeaient des emplois d’été. Mais dans une perspective de développement économique, ils pourraient prendre une toute nouvelle dimension.
Aujourd’hui, Tours et Châteaudun se sentent un peu laissées de côté.
À la suite de l’intervention de Dean Fournier, j’ai reçu un autre message par courriel. Celui-là venait de Martine Provost, présidente du Comité de jumelage de la ville de Châteaudun, en charge des quatre villes jumelles que sont Schweinfurt (Allemagne), Marchena (Espagne), KroměřÞ (République tchèque) et Arklow (Irlande).

«Je me permets de vous écrire pour vous informer que j’ai envoyé plusieurs courriers à la mairie de Trois-Rivières afin de reprendre des contacts avec Cap-de-la-Madeleine qui a été notre ville jumelle pendant plusieurs années. Malheureusement, je n’ai jamais reçu de réponse», écrit la dame.
Vraiment? Il fallait vérifier du côté de la Ville de Trois-Rivières…
Difficile de retracer les messages envoyés, mais Madame Provost nous a transmis une lettre envoyée à l’hôtel de ville en 2022. Dans cette correspondance, on indique que la Ville de Châteaudun a été jumelée avec la «commune» de Cap-de-la-Madeleine de 1971 à 2001. «Des liens se sont tissés au fil de ces années entre les habitants avant que notre ville-sœur ne soit englobée dans votre agglomération», écrit Mme Provost.
«Monsieur le Maire de Châteaudun, Fabien Verdier et le Comité de jumelage, que je représente, souhaiteraient très sincèrement renouer avec vous pour faire renaître ce jumelage, même à une plus grande échelle, Cap-de-la-Madeleine étant très liée à l’histoire de notre cité. Nous espérons que ce courrier retiendra toute votre attention et que nous recevrons prochainement une réponse favorable de votre part», peut-on lire.
À la Direction des communications de la Ville de Trois-Rivières, on n’a pas été en mesure de retrouver la trace de cette correspondance, ni des autres lettres envoyées par les autorités dunoises – le gentilé de Châteaudun.
«Nos équipes aux archives ne trouvent aucune trace de cette lettre. Sans remettre en question l’envoi de la lettre, l’absence de suivi par l’administration municipale trifluvienne nous semble toutefois improbable. Ainsi, il nous semble plausible que la correspondance ne soit jamais arrivée à destination», indique le porte-parole, Guillaume Cholette-Janson.
Il se peut, aussi, que sous l’administration Yves Lévesque, ce genre de message ne tombait pas sur la pile des messages prioritaires. L’ex-maire a déjà indiqué qu’il préférait des missions économiques ponctuelles pour développer des liens d’affaires à l’étranger.
Mais, coup de théâtre à l’hôtel de ville! Une lueur d’espoir apparaît. Une ouverture, évoquée timidement mais quand même évoquée.
«Cela étant, la Ville se montre ouverte à renouer ses liaisons avec ses villes jumelles et l’administration assurera les suivis conséquents auprès des élus trifluviens», indique Guillaume Cholette-Janson.
Châteaudun ne se considère plus vraiment «jumelée» à Cap-de-la-Madeleine, et encore moins à Trois-Rivières, mais le souhait de renouer ces liens semble bien réel, tant du côté du maire Verdier que de la présidente du comité de jumelage.
«Bien sûr, nous serions prêts à rendre vivant ce jumelage s’il était renouvelé», indique Madame Provost.
Je ne voudrais pas jouer les entremetteurs, mais j’aurais envie de dire aux représentants des deux villes: parlez-vous!
À la différence de Châteaudun, Tours se considère toujours jumelée à Trois-Rivières, même s’il n’y a plus de relations diplomatiques entre les deux villes. «Tours et Trois-Rivières sont deux villes de fleuves célèbres, la Loire pour l’une et le Saint-Laurent pour l’autre. Ces deux villes ont en commun une femme, Marie Guyart de l’Incarnation (née en 1599 à Tours et décédée en 1672 à Québec). Cette célèbre Tourangelle au Québec, fondatrice de la première école pour filles en Amérique du Nord, est considérée comme mère de la Nouvelle-France», peut-on lire sur le site web de la ville de Tours.
C’est d’ailleurs sur ce site web qu’on trouve, fièrement affichées, les villes jumelles du chef-lieu du département d’Indre-et-Loire: Mülheim an der Ruhr (Allemagne), Ségovie (Espagne), Parme (Italie), Luoyang (Chine), Trois-Rivières (Canada), Takamatsu (Japon), Brasov (Roumanie) et Minneapolis (États-Unis). Joli réseau, non?
Et Trois-Rivières y figure toujours. Un fonctionnaire municipal de Tours avait déjà mentionné que sa ville se considérait toujours jumelée à Trois-Rivières, «parce que des jumelages, ça ne se défait pas».
Évidemment, il faut une volonté politique pour faire vivre des jumelages. Il y a des villes qui se font une fierté de développer et d’entretenir des amitiés internationales. Il y a surtout des décideurs convaincus que ça peut porter fruit.
Et même si ce n’était que symbolique, la moindre des choses serait de poliment reprendre contact avec des villes jumelles qu’on a tout simplement «ghostées», pour reprendre un terme à la mode. Plus de son, plus d’image de ce côté-ci de l’Atlantique. La fusion municipale a effacé les jumelages.
Ce n’est pas très courtois.
Pendant des années on a fait flotter des drapeaux de pays étrangers au-dessus de l’entrée des bureaux d’Innovation et Développement économique Trois-Rivières. Si on était vraiment intéressé à jouer la carte de l’international, on pourrait reprendre contact avec des villes qui ne demandent pas mieux que de prendre part à des retrouvailles…
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