Au-delà du caractère administratif ou protocolaire, ce type de visite offre une occasion de lecture économique sur les dynamiques régionales, les leviers stratégiques du développement national, et les choix de priorisation des politiques publiques.
Elle ne devrait pas s’inscrire dans la tradition des tournées présidentielles spectaculaires faites de promesses, d’annonces grandiloquentes ou d’inaugurations en cascade. Elle devrait certainement se distinguer par sa sobriété, sa précision, sa portée
Le Nord du Sénégal n’est pas une simple zone périphérique. Il constitue un pôle stratégique aux multiples potentiels, qui engage des enjeux à la fois nationaux et régionaux. Il concentre des infrastructures vitales, des terres irriguées parmi les plus vastes du pays, et des programmes financés par des partenaires techniques et financiers internationaux, notamment japonais, arabes, européens ou encore africains.
La région Nord — et plus particulièrement la vallée — reste un pôle agricole majeur du pays, porteur d’opportunités transfrontalières et vecteur de transformations socio-économiques importantes. L’intégration économique entre le Sénégal et la Mauritanie, souvent évoquée dans les discours, prend ici un relief concret. L’eau, la terre, la proximité du marché sous-régional, mais aussi la présence de grands projets agro-industriels, sont autant d’atouts qui doivent être valorisés.
On y trouve des projets qui engagent l’avenir de tout le pays : la sucrerie nationale, les aménagements de la vallée du fleuve, le port en construction de Saint-Louis, les infrastructures routières, sans oublier le gaz offshore partagé avec la Mauritanie.
Dans ce contexte, la visite du Chef de l’État devrait être l’occasion de rappeler la vocation productive de la vallée et d’en réinterroger le rendement global. Malgré plus de 240 000 hectares de terres exploitables, le pays peine encore à atteindre l’autosuffisance alimentaire, en riz notamment. Il s’agit de comprendre pourquoi ces potentialités n’ont pas encore permis d’inverser durablement la courbe des importations. Est-ce une question de financement ? De stratégie ? D’organisation de la chaîne de valeur ? Ou encore de gouvernance locale ? Quelles réformes seraient nécessaires pour faire de la vallée un véritable levier d’autonomie stratégique pour le pays ?
Cette interrogation en amène une autre, plus spécifique : l’avenir du secteur sucrier au Sénégal. La région héberge l’unique sucrerie industrielle du pays, la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS), dont l’importance stratégique est incontestable. Pourtant, malgré les décennies d’exploitation et les avantages comparatifs que procure la vallée du fleuve, le Sénégal n’a pas encore atteint l’autonomie en sucre. Cette visite pourrait ouvrir une réflexion nationale sur l’opportunité de restructurer le secteur, de diversifier les opérateurs, ou encore de mieux encadrer la mission de service public dévolue à une entreprise stratégique opérant dans un quasi-monopole. Cela implique également de questionner les modèles économiques dominants et les conditions sociales et environnementales de production.
Par ailleurs, la tournée présidentielle, qui inclura des projets financés par des bailleurs internationaux (Japonais, BAD, etc.), doit aussi soulever les enjeux du contenu local : transfert de technologie, formation des jeunes, utilisation de biens et services locaux, implication des PME sénégalaises, lenteurs administratives dans les décaissements ou encore retards dans l’exécution. Ces projets doivent générer un impact socio-économique durable, au-delà des infrastructures visibles.
L’expérience montre que les visites présidentielles sont souvent accompagnées d’annonces ou d’inaugurations. Mais une différence fondamentale pourrait être marquée ici : faire de cette mission un moment de reddition des comptes et de dialogue de terrain, avec des chronogrammes de suivi publics, et une écoute active des populations. Les difficultés vécues par les salariés, les populations riveraines, ou les collectivités locales doivent être documentées pour renforcer la dimension participative et inclusive des politiques de développement.
Enfin, cette visite constitue un signal fort adressé à l’administration territoriale et aux élus locaux, qui doivent percevoir que l’État central reste attentif à la mise en œuvre effective des engagements pris. Elle peut également être le cadre d’un message politique sobre, mais déterminé, en faveur de l’efficience, de la proximité, et de la responsabilisation des acteurs locaux.
En définitive, il ne s’agit pas seulement de visiter, mais d’interroger l’impact réel de l’action publique dans une région stratégique. C’est en cela que cette tournée présidentielle pourrait se distinguer de celles qui l’ont précédée.
Par Magaye GAYE
Économiste international
Ancien Cadre de la BOAD
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