La plupart des scientifiques de l’époque s’accordaient à dire que communiquer avec un singe relevait plus de la science-fiction que d’un sujet de recherche. C’est pourtant ainsi qu’avec le développement des sciences cognitives dans les années 1950, plusieurs projets ambitieux visant à enseigner le langage humain à des espèces animales non humaines ont vu le jour. Le principe de ce programme de recherche était alors d’«adopter» un animal comme un enfant humain afin de maximiser son exposition au langage et ainsi de le lui enseigner dès son plus jeune âge. La grande majorité de ces études ont porté sur les grands singes, de par leur proximité avec l’humain. (…)
[Par exemple, un] couple de psychologues, Trixie et Allen Gardner, a [tenté] l’expérience dans les années 1960 avec [une] femelle chimpanzé appelée Washoe. (…) Au cours de sa vie, Washoe a ainsi appris plus de 130 signes. Elle était capable d’utiliser ces signes de manière spontanée, et même de les combiner pour former de courtes phrases. Elle combinait, par exemple, les signes eau et oiseau pour désigner un cygne. Face au succès de Washoe, les projets similaires impliquant une communication visuelle se sont multipliés. (…)
Biais de l’expérimentateur
Dans les années 1970, les premières critiques sur les méthodes employées dans ce type d’études voient le jour. Pour ces critiques, les conclusions de ces études seraient essentiellement basées sur des observations anecdotiques. Les prouesses des animaux seraient en effet documentées sans analyse systématique permettant d’écarter la possibilité que le succès de ces animaux puisse simplement être attribué au hasard.
Des biais liés à l’expérimentateur-rice ont également été identifiés. (…) Pour donner un exemple parlant, si l’on vous donnait l’instruction « la banane est dans la boîte rouge » en portant une attention soutenue à la boîte rouge, vous n’auriez pas besoin de comprendre le sens de la phrase pour faire le bon choix : le simple fait de pointer (même subtilement du regard) peut vous indiquer la présence d’une récompense dans cette boîte.
En réponse à ces critiques, des études ont donc cherché à tester spécifiquement la capacité des animaux à maîtriser la syntaxe. C’est notamment le cas de l’étude menée par Herbert Terrace avec le chimpanzé Nim Chimpsky, nommé en référence au célèbre linguiste Noam Chomsky, connu pour sa théorie selon laquelle le langage est le propre de l’humain.
Les performances mitigées de Nim Chimpsky dans le cadre de cette expérience ont remis en cause la validité des résultats obtenus lors des recherches menées jusqu’alors. De plus, cela va rapidement mener la communauté scientifique à se questionner sur la pertinence de cette approche qui revient à étudier la capacité des animaux à utiliser un système de communication qui n’est pas le leur.
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Ce texte est un extrait de l’ouvrage «Quand les animaux prennent la parole», paru ce printemps aux éditions Apogée. Reproduit avec permission.
«La science dans ses mots» est une tribune où des scientifiques de toutes les disciplines peuvent prendre la parole, que ce soit dans des lettres ouvertes ou des extraits de livres.
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