«Depuis 20 ans, c’est une période un peu stérile. On ne fait plus notre histoire, on n’a plus d’idées pour la faire non plus», lance-t-il en entrevue au Soleil.
Déprimant constat?
Oui et non. Oui, car à 81 ans, Gérard Bouchard s’inquiète un brin et aimerait voir le Québec viser «un idéal».
«Nous sommes présentement une société qui n’a pas de grands horizons, qui n’est pas à la poursuite d’une cause qui mobiliserait toute la population, aussi bien les jeunes que les moins jeunes», poursuit-il.
Hier pour éclairer demain
J’ai rencontré Gérard Bouchard il y a quelques jours, en marge du Salon du livre de Québec. Dans un restaurant pour sortir du tourbillon du Salon qu’il aime beaucoup, pour les rencontres, les échanges avec les lecteurs. Je suis devant un café, lui devant un chocolat chaud.
Il était au Salon du livre avec son recueil Visions du Québec. Paru en janvier aux Éditions Somme Toute—Le Devoir, l’ouvrage regroupe une soixantaine de chroniques parues dans Le Devoir entre 2020 et 2024.
Ces textes résonnent fort ces jours-ci, particulièrement avec l’actualité folle des dernières semaines.
Sur fond de terrifiant retour de Donald Trump et d’élections fédérales, plusieurs thèmes chers à Gérard Bouchard font la manchette comme la langue, le territoire, l’identité, l’immigration.
Les chroniques du sociologue sont passionnantes, intelligentes souvent livrées avec le sourire en coin. Le même que l’homme rudement sympathique affiche en personne.
«Je suis préoccupé par les problèmes auxquels notre société est confrontée présentement. Il y a divers problèmes, il y en a qui sont plus sérieux que d’autres», poursuit celui qui a coprésidé la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables en 2007 avec le philosophe Charles Taylor.
Il s’inquiète notamment d’une montée de l’individualisme basé sur le bien-être personnel, tourné vers notre nombril. «Il semble qu’on soit devant une nouvelle forme d’individualisme qui, à la différence de l’ancien (l’individualisme dit «libéral»), marque un déplacement, sinon une retraite, vers le «Moi» aux dépens de la dimension collective ou sociale», écrit-il dans la chronique «La transmission des valeurs et l’histoire nationale».
Et s’il s’agissait d’une forme «d’individualisme de repli», la citoyenneté risquerait évidemment d’en souffrir, soutient-il.
Tout n’est pas perdu
Mais tout n’est pas si sombre, nuance Gérard Bouchard. Le fond de ce qui fait le Québec, ses valeurs fondamentales, sont en un «assez bon état», estime le sociologue.
«La démocratie, la liberté, le pluralisme, l’égalité hommes-femmes sont des choses encore très vivantes. Mais il n’y en a pas une qui émerge pour en arriver à mobiliser l’ensemble de la société.»

Mais si on veut rêver, on fait comment?
Pas simple dans le contexte aussi où la CAQ n’a pas réussi depuis son arrivée au pouvoir en 2018 à fédérer la population autour d’une idée.
L’historien et sociologue reproche à François Legault son «improvisation», des initiatives «un peu brouillonnes, à courte vue, des projets branlants discutés par des calculs électoraux» et «un nationalisme vide», écrit-il dans la chronique «Faites-nous rêver un peu, monsieur Legault», datée du 27 janvier 2024.
«Quand j’ai écrit ce texte, je savais bien que c’était un appel qui resterait sans réponse», laisse tomber Gérard Bouchard.
Des bons mots pour le ministre Roberge
En entrevue, Gérard Bouchard est toutefois moins sévère avec le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration Jean-François Roberge.
Ce dernier présentait en janvier son projet de loi sur «d’intégration nationale». Inspiré de l’interculturalisme, un modèle que Gérard Bouchard défend depuis des années et auquel il a consacré un ouvrage en 2012.
«Il y a une espèce de consensus au Québec autour de l’interculturalisme. Et on se demande comment il se fait qu’il n’y a pas un gouvernement qui a voulu appliquer ce modèle-là , alors que le Canada fait la promotion de son multiculturalisme», dit-il.
«Là , je pense que ce que la CAQ est en train de faire, c’est probablement la tentative la plus élaborée, la plus sérieuse», dit-il à propos du projet de Jean-François Roberge voulant que les nouveaux arrivants adhèrent à la culture commune du Québec.
«Moi, c’est quelqu’un en qui j’ai confiance. Je pense que c’est un bon ministre. Mais il va devoir arbitrer des vents contraires. Puis on verra ce qui va en sortir.»
Et Gérard Bouchard sera là pour observer de près comment évoluera cette loi. Comme tout le reste des dossiers chauds au Québec.
«Comme chercheur, j’ai toujours beaucoup d’idées de projets, mais je ne peux pas faire un livre avec chacune de mes idées. Alors, j’écris un texte dans Le Devoir!»
Espérons que Gérard Bouchard refera le coup de regrouper les prochaines tant Visions du Québec nous aide à réfléchir le Québec.
En attendant le prochain grand rêve.
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