Voilà de quoi régler une ambiguïté une fois pour toutes: «Oui, le musée est ouvert!» répond Chloé, petite-fille du fondateur, aux dizaines de fervents fébriles de venir visiter l’institution. Elle tient le fort à l’accueil de l’établissement en alternance avec sa mère, Mélanie, et Lenny, un étudiant embauché à l’année.
«On a été fermés quoi, à peine dix jours?» lance Alain Bellehumeur, le directeur de l’institution, qui a accepté de faire le point – et d’honorer son idole, disparue il y a exactement 43 ans cette semaine, le 8 mai 1982, dans une embardée survenue lors des essais qualificatifs au Grand Prix de Belgique à Zolder.
En convalescence d’une opération au cœur, il a hâte de reprendre le volant de « son » musée, entouré de sa gang et des visiteurs.
Une saisie qui a fait du bruit
C’est que les derniers mois ont été mouvementés. En février dernier, la sortie très médiatisée de Mélanie Villeneuve, fille du célèbre pilote, appuyée par son champion de frère Jacques et leur mère Joann, a mené à une saisie de pièces au petit musée. La famille réclamait alors de reprendre le contrôle sur la mémoire de Gilles Villeneuve.
Les médias ont d’ailleurs été conviés le 27 mai prochain dans les locaux de l’agence Sid Lee à Montréal pour une annonce à ce sujet.
«Mélanie [Villeneuve] vous accueillera et vous invitera à plonger dans le quotidien du légendaire champion québécois, célébré mondialement pour ses exploits en Formule 1. Elle partagera avec vous un moment privilégié en hommage à l’héritage de son père », peut-on lire dans l’invitation.
À 80 kilomètres de la Place Ville-Marie où a lieu l’événement, Alain Bellehumeur se confie, assis à la terrasse du McDo de Berthierville – une pause incontournable pour les motoristes, à mi-chemin entre Montréal et Trois-Rivières. Sans rien manger toutefois! Il vient quand même d’être opéré.
Il assure qu’il n’a pas entendu parler de cette soirée, pas plus qu’il n’a communiqué avec le clan Villeneuve depuis la saisie des biens qu’il a gérée depuis son lit d’hôpital, avec l’aide de sa fille.

La communauté derrière le musée
Ce dont il est sûr, cependant, c’est qu’il se sent choyé de l’appui de la communauté de Berthierville, des encouragements du public et du soutien de tous ceux qui lui ont réitéré leur confiance avec leurs prêts au musée.
«Il y en a qui m’ont écrit pour reprendre leurs pièces en pensant qu’on fermait, comme le musée Ingenium à Ottawa, qui nous prête gratuitement la motoneige Skiroule. J’ai rappelé le gars, et aussitôt que c’était clarifié, il m’a dit: “Ah ben OK, garde-la!”»
Finalement, ce n’est qu’une trentaine de morceaux qui ont été saisis, au lieu de la centaine appréhendée quand les huissiers ont cogné. Des trophées de F1, des casques, une combinaison et une motoneige: l’Alouette Super 440 rouge avec laquelle il a remporté le Championnat du monde 1974 à Eagle River, au Wisconsin.
«Ça a été comme un gros “boum”, puis ça a fini par se placer , décrit-il. On a rebrassé nos cartes, on a pris un petit recul et fait un peu de remontage. Pour vrai, même avec ce qui est parti, rien ne nous empêche de raconter l’histoire de Gilles, comme on l’a toujours fait, avec passion.»

La statue laisse un trou béant
Difficile par contre de ne pas remarquer les pieds de la statue de bronze de Gilles Villeneuve, restés bien ancrés sur leur piédestal, depuis que des voleurs ont dérobé le reste du monument en novembre dernier.
«J’ai reçu plein de propositions pour la remplacer, relate Alain Bellehumeur. Quelqu’un qui fait des dinosaures en fibre de verre comme au Madrid sur l’autoroute 20 s’est proposé. Un autre m’a offert une sculpture de bois. C’est généreux, mais bien franchement, on ne sait pas encore ce qu’on va faire.»
Aidé par l’effet Trump
Selon le directeur du musée, les touristes commencent à affluer – il y en a 10 000 bon an, mal an – et l’attraction pourrait même profiter de l’effet du boycottage des États-Unis, tant chez les Canadiens que les Européens, voire les Américains.
À la sortie de l’exposition, les signatures de Québécois sont nombreuses dans le carnet de visite, mais y figurent aussi celles de visiteurs de la République dominicaine, de l’Espagne, de la Suisse, de la Colombie et même du Brésil.
«Faire parler de Gilles, parler de Gilles, c’est ce qui fait vivre son souvenir, c’est notre devoir. Ça a toujours été notre mission. Je pense à ça tout le temps», ajoute Alain Bellehumeur.
Si le passionné de course automobile s’émeut encore en évoquant les rocambolesques derniers mois, c’est qu’il a consacré les quatre dernières décennies à garder vivante la mémoire de la légende de la Formule 1.

Pas de meilleur endroit
Pas n’importe où: dans le bastion même qui l’a vu grandir, quand Séville Villeneuve et Georgette Coupal ont choisi Berthier pour y établir leur petite famille alors que Gilles avait 8 ans.
«C’est tout l’intérêt d’avoir un musée ici. C’est exceptionnel de pouvoir raconter l’histoire d’une personne dans les lieux mêmes où elle a commencé. Nulle part ailleurs on ne la racontera comme on peut le faire ici, estime Alain Bellehumeur. C’est ce que les gens de partout dans le monde viennent chercher en venant chez nous. C’est unique.»
Quand on lui demande quelle est la pièce qui le rend le plus fier de partager avec les visiteurs, Alain Bellehumeur hésite un instant, puis demande la permission d’en nommer deux.
«C’est la carrosserie de la Ferrari, celle que l’écurie nous a envoyée. C’est la voiture de la première course de la dernière année de vie de Gilles. Tu regardes ça et tu te dis: “il s’est assis là-dedans”. Après cette course-là, au début du Championnat de F1 1982, ils ont changé le modèle, alors ils n’en avaient plus besoin. C’est une pièce marquante.»

Mais il y a aussi un objet plus terre-à-terre, profondément enraciné dans la vie de Villeneuve ici, au Québec.
«Son gros pick-up F-250 Ford. Ça, c’est l’histoire. Il revenait toujours à Berthier, il allait jouer dans les pits de sable avec ses chums. C’est l’item local, si on veut, qui nous représente bien ici.»
LA pièce maîtresse
Enfin, rien n’arrive pour rien, et il semblerait que la pause forcée d’Alain Bellehumeur ait porté fruit, pas seulement pour sa santé, mais aussi pour le musée.
«J’ai griffonné ça à l’arrière des menus des repas qu’on me servait à l’hôpital, c’était le seul papier que j’avais !» ricane-t-il. Il réfléchit à une première thématique sur l’évolution des casques en F1 et une autre sur les circuits de course à travers le monde et leur conception.
Pour l’instant, il prépare doucement son retour dans l’action et pense déjà au prochain banquet de financement du musée. Heureusement, le bon vivant ne figurait pas sur la liste des artéfacts saisis en février. Parce que s’il y a une pièce irremplaçable au Musée Gilles-Villeneuve, c’est bien Alain Bellehumeur.
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