Comme bien des jardins, il évolue avec le temps. Après 20 ou 30 ans, comme c’est le cas ici, il a besoin d’un peu d’amour… et peut-être aussi d’un brin de renouveau.
Les conditions y ont changé. Certaines plantes se sont répandues un peu trop vite à mon goût. D’autres n’ont pas tenu le coup pour plusieurs raisons: vivaces de courte vie, espèces mal adaptées, maladies, ravageurs, etc. De nouvelles plantes se sont invitées spontanément, parfois bienvenues, parfois non.
L’environnement aussi s’est transformé. Les arbres et les arbustes ont grandi, projetant davantage d’ombre. La nature du sol a changé, enrichie peu à peu par la végétation elle-même.
J’apprends à connaître ce jardin ainsi que les plantes que mon père a choisies et cultivées au fil des ans. Peu à peu, son avenir commence à se dessiner dans ma tête. Ce n’est pas simple d’entretenir un jardin tout en le réinventant. J’ai peu de temps pour apprivoiser cette nature libre, alors j’avance pas à pas.
Heureusement, j’ai une alliée précieuse qui m’aide à garder le tout sous contrôle, même en mon absence: la sauge glutineuse.
Une vivace presque sans entretien
Cette plante vivace buissonnante fait de 60 à 90 cm de hauteur, puis de 45 à 90 cm de diamètre. Elle n’attire pas l’œil en début de saison avec ses feuilles vert moyen en forme de tête de flèche, quoiqu’elle forme de belles touffes structurées.
La sauge glutineuse (Salvia glutinosa) tire son nom de la texture collante de ses tiges et feuilles, recouvertes de poils glanduleux. Cette surface visqueuse crée une sensation étonnante au toucher… et semble dissuader certains prédateurs. Il arrive même que de petits insectes s’y trouvent piégés.
Les glandes de la plante libèrent aussi un parfum agréable, surtout par temps chaud ou lorsqu’on froisse les feuilles. Ce parfum, bien que plaisant pour nous, rebute les cerfs et les lièvres, qui préfèrent l’éviter. L’huile extraite de ses glandes posséderait par ailleurs des propriétés médicinales.
Un de ses principaux attraits — outre sa résistance à plusieurs prédateurs et son faible besoin en entretien — est son étonnante adaptabilité. La sauge glutineuse est rustique jusqu’en zone 3. Elle pousse dans presque tout sol bien drainé et tolère même l’ombre sèche, comme celle qu’on retrouve au pied de certains arbres. Une fois bien établie, elle supporte sans problème de longues périodes de sécheresse.

De la stabilité et du mouvement
À mes yeux, l’atout principal de la sauge glutineuse est sa capacité à occuper l’espace intelligemment. Elle se ressème généreusement, comblant d’elle-même les vides laissés par les plantes disparues ou affaiblies.
En se glissant dans les intervalles dénudés, elle aide à limiter la prolifération des mauvaises herbes, sans prendre le dessus sur ses voisines bien établies, en général.
Elle agit un peu comme un couvre-sol, protégeant les zones dégarnies de l’érosion, maintenant l’humidité du sol et l’enrichissant de ses feuilles et tiges mortes à l’automne.
En ce sens, la sauge glutineuse est mon assistante: elle veille sur le jardin en mon absence.
Chaque année, je la retrouve à un nouvel endroit. Elle migre discrètement au gré des conditions. Ou plutôt elle réapparaît, car ses graines restent en dormance dans le sol, prêtes à germer dès qu’un espace se libère ou qu’une perturbation crée une ouverture. Elle accompagne ainsi le changement, s’adapte aux nouvelles lumières, aux ouvertures inattendues et aux replis d’ombre.
Dans un jardin en constante évolution, cette mobilité est précieuse. Toutefois, dans un aménagement plus rigide ou formel, il peut être nécessaire de retirer ici et là quelques semis indésirables.
Un tapis de jaune en fin de saison
Quand vient la fin de l’été, alors que bien des fleurs battent de l’aile, la sauge glutineuse entre enfin en scène. Elle commence à fleurir vers la mi-août. Sa floraison se prolonge jusqu’aux premiers gels.
Portées en épis dressés, ses fleurs jaune pâle à gorge brunâtre sont discrètes, mais charmantes. Elles se succèdent pendant au moins deux mois, apportant une touche de lumière à un jardin qui amorce doucement sa progression vers l’automne.

Les fleurs, en forme de petites bouches ouvertes, présentent deux longues lèvres arquées, un peu comme un bec d’oiseau. Ce détail donne à la plante une allure singulière et subtile, mais appréciable lorsqu’on s’en approche.
Dans un jardin aux allures sauvages, comme celui de mon père, elle stabilise aussi visuellement les zones plus libres et en renforce l’unité. Sa répétition dans différents coins du terrain tisse une sorte de fil conducteur, apportant structure et cohérence à un espace un peu chaotique.
Un seul défaut: sa rareté
La sauge glutineuse est rarement offerte en pépinière. À ma connaissance, seule l’entreprise Les Vivaces de l’Isle, à Bécancour, en propose.
Heureusement, il est possible de la cultiver à partir de semences. Celles-ci sont aussi peu courantes, mais on peut les commander en ligne sans trop de difficulté. Puisque cette plante se ressème toute seule au jardin, pourquoi ne pas l’implanter ainsi dès le départ?
Un semis extérieur est la méthode la plus simple. Il suffit de semer directement au jardin à l’automne ou très tôt au printemps:
- Grattez légèrement la surface du sol
- Déposez les graines
- Recouvrez-les d’une fine couche de terre
- Arrosez une fois, puis laissez faire la nature: le gel et le dégel stimuleront la germination.
Si vous avez peu de graines ou souhaitez mieux contrôler la germination, vous pouvez aussi semer à l’intérieur, environ 6 à 8 semaines avant le dernier gel (vers mars ou avril, selon votre région). Utilisez un terreau léger pour semis, gardez-le légèrement humide et exposez les semis à la lumière. La germination peut prendre de 2 à 4 semaines. Transplantez ensuite les jeunes plants au jardin une fois les risques de gel écartés.
Grâce à votre sauge glutineuse, vous pourrez devenir un jardinier un peu plus paresseux!
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