Elle faisait comme une overdose d’insuline.
Les médecins et les spécialistes n’arrivaient pas à mettre le doigt sur les causes de ce rare dysfonctionnement, constatant d’une prise de sang à l’autre que rien ne semblait parvenir à contrôler la glycémie du bébé. Après avoir étudié plusieurs hypothèses, le corps médical est arrivé à la conclusion que l’enfant recevait de «l’insuline exogène», c’est-à -dire administrée par quelqu’un.
Ils ont aussi découvert que l’insuline du bébé était la même que celle que s’injectait la mère pour contrôler son propre diabète.
«Tous les regards se sont tournés vers la mère», peut-on lire dans le jugement faisant suite aux observations de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), appelée à se pencher sur les doutes exprimés par le corps médical. À la suite de l’évaluation de la DPJ, le père a été blanchi, on lui a confié l’enfant, et on a exigé que lui ou une tierce personne supervise tout contact avec la mère, qui jamais ne pouvait être laissée seule avec l’enfant.
Toujours dans le jugement, on fait état de marques sur la peau de l’enfant correspondant à un «stylo d’insuline» et plusieurs concordances entre les épisodes d’hypoglycémies et la présence de la mère. «À partir du moment où X a cessé d’être en contact avec sa mère sans supervision, l’état de santé de l’enfant est revenu graduellement à la normale et s’est stabilisé.»
Un des experts cités soupçonne qu’il s’agisse du syndrome de Münchhausen par procuration, «une forme rare et bizarre de maltraitance, parfois mortelle, caractérisée par la falsification ou la production d’une maladie par un parent, ce qui entraîne des investigations et des traitements médicaux inutiles et potentiellement dommageables».
Le tribunal recommande de suivre cette piste. «La jurisprudence est à l’effet que d’administrer des médicaments à son enfant contre avis médical constitue de l’abus physique.»
C’est un crime.
Non seulement l’enfant a été traitée pour un problème d’hypoglycémie qui n’existait pas, elle a également subi de graves complications et une flopée de tests et d’examens injustifiés. L’enfant «a fait un séjour aux soins intensifs pédiatriques. Elle a eu un support ventilatoire, a été gavée et a eu de nombreuses procédures thérapeutiques, dont certaines invasives», peut-on lire dans le résumé d’une des hospitalisations.
À ce moment-là , Cédric était sceptique. «Je ne pouvais pas m’imaginer qu’elle aurait pu faire ça. J’avais avalé l’idée que c’était une des infirmières.» Il y a cru longtemps. Pendant ce temps-là , ils ont convenu d’une garde partagée dans laquelle la mère pouvait être seule avec leur fille et s’occuper des suivis médicaux. La garde partagée tient encore aujourd’hui.
En fait, il y a cru jusqu’à il y a quelques années lorsqu’il a eu des doutes sur d’autres éléments du dossier médical de sa fille, alors rendue au primaire. «Là , j’ai découvert plein de choses. J’ai découvert entre autres qu’on ne m’avait jamais communiqué le résultat d’une prise de sang où ça disait qu’il y avait de l’insuline exogène», alors que sa fille n’était pas à l’hôpital.
La thèse de l’infirmière, à laquelle il adhérait jusque-là , a volé en éclat.
Mais la mère ne s’est pas arrêtée là , elle a continué à se servir d’une particularité génétique de sa fille pour alimenter l’idée qu’elle souffrait d’une forme rare de diabète. Elle a continué à indiquer aux médecins qu’elle consultait que sa fille était suivie pour cette maladie, a même réussi à faire prescrire un médicament pour supposément la contrôler.
Il y a un peu plus de deux ans, un suivi médical a confirmé que l’enfant n’était pas diabétique, toute la médication et les appareils de contrôle ont été retirés.
Aujourd’hui, Cédric se demande pourquoi la mère de sa fille n’a jamais eu à répondre des gestes criminels qu’elle a posés envers elle, des gestes qui ont mis sa vie en danger et qui ont été documentés par le corps médical. «J’ai plein de documents qui montrent jusqu’où elle a pu aller avec le faux diabète, mais il n’y a jamais eu d’accusations qui ont été portées.»
Une enquête aurait été ouverte, elle n’aurait pas abouti.
En 2014, un tribunal en France a pourtant condamné une infirmière de 30 ans à deux années de prison avec sursis pour avoir injecté trois fois de l’insuline à son bébé, ce qui a été décrit en cour comme une manifestation du syndrome de Münchhausen. «C’est un cas typique, d’abord parce que l’insuline est très utilisée dans ces pathologies. Le parent fait toujours en sorte que le produit ne se voit pas», avait alors analysé pour TF1 Catherine Granaux, experte en psychopathologie.
Elle a aussi expliqué que «cette affection rare touche 90 % de femmes. Les personnes atteintes se présentent comme de bons parents, des parents très attentifs. Ce sont des personnes qui, en apparence, coopèrent avec le service médical, qui posent 1000 questions, qui essaient de rendre service. Elles sont également très présentes aux côtés de l’enfant».
Ce qu’on a reproché à l’ex-conjointe de Cédric est plus grave encore, en plus de s’être perpétué pendant plusieurs années.
On a tout balayé sous le tapis.
«Je ne comprends pas pourquoi elle a pu s’en tirer comme ça, comment les droits de ma fille ont pu être bafoués à ce point-là . C’est vraiment grave, ce qu’elle a fait. Et ce n’est pas normal que le dossier a été fermé sans que ça aille plus loin.»
Depuis qu’il a pris conscience de ce qui s’est passé, Cédric s’est attelé à documenter l’historique médical de sa fille, dont il ignorait plusieurs chapitres. Ce qu’il a découvert l’a secoué, au point où il a décidé de relancer les autorités qui ont à son avis minimisé les gestes posés par la mère de sa fille, en ignorant les risques de récidive.
Il espère, cette fois, qu’on ne ferme pas les yeux.
* Prénom fictif
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