Des débris d’anciens naufrages refont surface, puis disparaissent. En juillet dernier, une équipe intersectorielle s’est rendue à Pointe-aux-Anglais, sur la Côte-Nord, pour visiter les lieux du naufrage de l’expédition Walker, un épisode important dans l’histoire de la Nouvelle-France, qui a fait plus de 1000 victimes en 1711.
C’est quand elle est tombée sur un manuscrit conservé au Musée de la civilisation, une épopée burlesque de 62 pages relatant l’histoire du naufrage, que Marie-Ange Croft a réalisé à quel point l’événement avait fait l’objet de peu de recherche.
«C’est un document en vers, qui n’avait jamais vraiment été mis en valeur, explique la docteure en lettres et codirectrice du projet. Je me suis intéressée au sujet et on a constitué une équipe de recherche multidisciplinaire. On s’est rendu compte que le naufrage de cette expédition, commandée par les Anglais dans le but de faire tomber Québec et de conquérir la Nouvelle-France, était un bel objet d’étude. On pouvait l’analyser de différents angles, dont celui de l’océanographie et de l’archéologie subaquatique.»
Une page d’histoire méconnue
Le naufrage de 10 des 85 navires de la flotte menée par l’amiral Hovenden Walker, un an après la conquête de l’Acadie par l’Angleterre, est rarement mentionné dans l’histoire de notre pays. Il a pourtant retardé de 50 ans la conquête de la Nouvelle-France.
Selon Marie-Ange Croft, les Anglais n’étaient pas fiers de cette tentative ratée et auraient peut-être voulu l’occulter, tandis que les témoins directs étaient rares du côté des Canadiens français. Le mot s’est quand même passé et des chants et prières de remerciements à la Vierge ont été composés jusqu’à Montréal. Marie-Ange Croft tente d’ailleurs de les regrouper.
Qu’est-ce qui s’est dit au sujet de ce naufrage, à l’époque, en Nouvelle-France, en Europe? La réponse à ces questions pourrait éclairer un pan important de notre passé… mais aussi de l’histoire climatique du fleuve Saint-Laurent, encore peu décrite.
Rassemblant des spécialistes en histoire, lettres, archéologie et sciences de la mer, le projet, intitulé Le naufrage de la flotte Walker, archéologie d’un lieu de mémoire maritime, vise à reconstituer la trame narrative de l’événement, en étudiant documents, récits, chants composés à l’époque du naufrage ainsi que vestiges matériels. Pour ce faire, la chercheuse s’est rendue en Angleterre pour consulter les journaux de bord de la flotte, afin de reconstituer la trame narrative des événements, mais aussi pour recueillir de précieuses données sur le climat.

Un site bien connu par la communauté des plongeurs
Quand Marie-Ange Croft l’a approchée, Marijo Gauthier-Bérubé, archéologue subaquatique, également membre du comité de recherche, connaissait bien l’existence des épaves de la flotte de Walker.
«Pour les plongeurs, ça faisait déjà partie de l’histoire de la discipline, dit-elle. Pourtant, comme eux, on en savait très peu sur les circonstances du naufrage.»
L’expédition de juillet n’aura pas permis d’en savoir plus, les sites étant enfouis sous les sédiments. «Par contre, on a été capable de répertorier les fonds marins ainsi que les conditions environnementales extrêmement changeantes du site. On s’est rendu compte que les cartes de géologie marine faites en 2023 ne correspondaient plus du tout à ce qu’on observait. Là où un champ de roches devait être, on trouvait un désert de sable, et vice versa. Le fond marin s’est vraiment déplacé.»
Les fonds marins sont redessinés par les grandes marées et les tempêtes, particulièrement intenses dans les dernières décennies. Les Nord-Côtières et les Nord-Côtiers frémissent toujours en évoquant celle du 23 décembre 2022, où des maisons, quais et pans de terre ont été emportés.
«C’est toujours dommage de ne rien trouver quand on visite un site, mais ça donne aussi des informations en soi. Cette fois, on a vraiment pu témoigner du visage très changeant de l’environnement et de l’impact des changements climatiques sur ce genre de sites archéologiques, avec l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes. Ça nous permet d’apporter notre pierre à l’édifice, par rapport à la flotte Walker, oui, mais sur l’ensemble des sites immergés au Québec aussi », dit Marijo Gauthier-Bérubé.
LA PETITE HISTOIRE: UN SITE ARCHÉOLOGIQUE DÉPOUILLÉ
Au Centre national des naufrages du Québec (CNNQ) de Baie-Trinité, une exposition d’artefacts rend hommage aux nombreux naufrages survenus sur les récifs de la Côte-Nord.
Seuls deux canons proviennent de la flotte de Walker, raconte Érik Phaneuf, président du conseil d’administration du CNNQ et archéologue subaquatique.
« Très peu d’objets nous restent de la flotte de Walker, explique-t-il. La majorité se trouve dans les collections personnelles de plongeurs qui ont fréquenté le site au fil du temps et non dans les musées. Des Américains sont venus se servir en 1930, guidés par les pêcheurs locaux, et dans les années 1970, des archéologues ont sorti des objets. »
Contre toute convention, Walker est reparti en laissant de 1 000 à 1 500 morts sur les plages, ne ramenant que les naufragés vivants.
L’histoire rapporte qu’un dénommé Vital Caron, l’un des premiers témoins arrivés sur les lieux, aurait dépouillé les cadavres pour vendre ce qu’il pouvait.
«On le sait parce que le sieur de Lavaltrie, qui exploitait aussi la fourrure dans ce coin-là , a voulu dénoncer son rival. En faisant ça, il déclarait l’épave et, de ce fait, la loi de l’époque lui permettait de garder 30 % de ce qu’il allait trouver», raconte Érik Phaneuf.
On sait qu’il y a eu plus de naufrages que d’épaves retrouvées. D’autres vestiges archéologiques pourraient se trouver dans la zone de Pointe-aux-Anglais. Mais lors du naufrage, les navires auraient pu se briser, être emportés plus loin, et des débris auraient même pu être rejetés à l’intérieur des terres.
UNE ÉROSION DES BERGES QUI PROGRESSE
«À cause de l’érosion des berges, on perd annuellement de 30 à 40 centimètres, et lors de certaines tempêtes, on peut avoir jusqu’à 5 mètres qui disparaissent d’un coup. Depuis 1711, on évalue à environ 500 mètres le retrait des côtes. On parle d’un demi-kilomètre, là ! C’est dire que les morts, quand ils se sont échoués, n’étaient pas sur la plage qu’on voit maintenant», précise Érik Phaneuf, avant d’ajouter que les pêcheurs trouvaient encore des squelettes dans les années 1960.
Un ouvrage collectif faisant la synthèse de cette fascinante enquête devrait être publié en 2029.
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